L’adoption d’enfants présentant des besoins spécifiques : accompagner le projet parental pour prévenir certains risques
Sandrine Dekens, psychologue clinicienne et coordinatrice du service Enfants en recherche de famille (ERF) aborde dans cet article l’accompagnement proposé aux parents qui s’engagent dans un projet d’adoption d’un enfant présentant des besoins spécifiques.
ERF est un dispositif privé qui permet de mener une recherche de parents à l’échelle nationale pour tous les enfants pupilles de l’État, spécialement ceux présentant un cumul de besoins spécifiques pour lesquels les projets parentaux sont plus rares. Cette recherche se fonde sur une analyse précise des besoins et ressources de l’enfant dans différentes sphères (médicale, affective, psychologique, sociale). Le bilan d’adoptabilité est mené par les services départementaux et constitue le socle à partir duquel ERF mène la recherche auprès des parents adoptifs potentiels.
De l’imaginaire au réel
Les candidats adoptants dont le projet d’adoption a été autorisé suivent un processus qui consiste à confronter leur imaginaire à la réalité des enfants adoptables en France. Les 9 mois consacrés à l’agrément font ainsi naître un enfant imaginaire dans le psychisme parental, qui va peu à peu laisser place à la réalité. Pour certains, ce processus permet de faire évoluer les ouvertures et limites du projet d’adoption, qui se précise au fil du temps pour se rapprocher du profil des enfants pour lesquels ERF recherche des parents. Ce processus s’engage lorsqu’ils rencontrent un ou une référent.e ERF, parent adoptant et bénévole adhérant d’EFA.
Au moment où les candidats s’inscrivent, ils ont déjà rencontré des familles adoptantes avec leurs enfants, entendu des témoignages et obtenu des informations sur les besoins spécifiques des enfants adoptables, les séquelles liées aux parcours de vie, les retentissements sur la parentalité et la vie quotidienne de la famille. Cette confrontation à la réalité – entre l’obtention de l’agrément et l’inscription à ERF – permet à chacun de mesurer d’une part, ce à quoi il se sent prêt, les expériences sur lesquelles il va pouvoir s’appuyer, et d’autre part, d’évaluer si l’imaginaire peut intégrer sereinement des éléments de réalité. Ainsi, au fil des entretiens avec la psychologue d’ERF, l’enfant imaginaire de l’agrément se transforme en enfant « réaliste », susceptible de correspondre à un enfant réel.
Étape de l’apparentement
A l’étape suivante, lorsqu’un projet parental semble bien mûri et ajusté aux besoins d’un enfant réel, le profil d’un enfant en attente de famille est exposé aux candidats, en insistant sur les difficultés pouvant être anticipées. L’apparentement n’est pas opéré à l’insu des candidats, tant il convient d’éviter les situations où les parents découvrent a posteriori des informations importantes pour la vie future avec l’enfant. La révélation de ces informations « cachées mais connues » au fil de la vie avec l’enfant pourrait donner l’impression aux parents qu’ils ont été dupés, ce qui entraverait leurs ressources et leurs capacités à réagir. A l’inverse, il paraît souhaitable de collaborer avec ces derniers et de les responsabiliser dans cette prise de décision qui engendrera des conséquences durables sur leur avenir.
Les candidats ERF choisissent d’aller vers un enfant dont ils pensent que les caractéristiques correspondent à leurs capacités. Certains d’entre eux peuvent être réticents à s’engager dans une démarche qui leur fait l’effet d’un « catalogue » de caractéristiques, impression qui s’estompe dès que la dimension administrative du questionnaire s’anime de vie et de paroles lors des rencontres et des entretiens. On s’aperçoit ainsi qu’un projet d’adoption peut considérablement varier selon les familles, ce qui pose problème aux uns peut ainsi être envisagé sans difficulté par d’autres. Il s’agit d’accompagner ces futurs parents pour qu’ils puissent assumer la part de responsabilité liée à ce type de parentalité et que l’enfant ne manquera pas d’interroger (Est-ce que tu m’as vraiment voulu, moi avec mon histoire, mes blessures, ma couleur, mon handicap ?), et dépasser la dimension altruiste de leur motivation pour apprécier leurs propres limites, sans culpabilité ni déni. Cette étape permet à chacun d’être acteur de son projet et de créer un potentiel de ressources qui seront nécessaires pour affronter les éventuelles difficultés.
Rencontre et premiers temps de vie commune
Après avoir envoyé leur dossier au service d’adoption compétent et rencontré une ou plusieurs fois les membres de ces derniers, les candidats sont choisis par le conseil de famille. La dernière étape du processus est alors lancée : l’enfant d’abord imaginé, puis devenu de plus en plus réel, va acquérir une identité propre (prénom, date de naissance) dans l’espace psychique des parents, où il va s’inscrire de manière plus ou moins fluide. Pour préparer le moment de la rencontre avec l’enfant, les entretiens téléphoniques s’intensifient, l’imaginaire parental est mis au travail, les représentations se confrontent avec la réalité qui pourrait advenir. Lors des premiers temps de la rencontre, l’enfant peut montrer une attitude réservée, manifester de l’inquiétude face à ces parents qui sont encore des étrangers. Les parents sont préparés et accompagnés par téléphone autant qu’ils le désirent, avant la rencontre et pendant la semaine d’apparentement, période à forte charge émotionnelle. Durant les premiers temps de la rencontre et de la vie commune, il est possible que l’enfant investisse davantage un des deux parents, souvent la mère pour les petits et le père pour les plus grands, et ignore ou repousse le second. Ces mouvements sont difficiles à vivre et méritent d’être accompagnés, de manière que le comportement de l’enfant fasse sens pour ses nouveaux parents. En cela, une bonne connaissance du dossier de l’enfant constitue un appui pour la psychologue d’ERF. Un suivi post-adoption sous forme d’entretiens téléphoniques et de visites à domicile est proposé aux familles qui le souhaitent et s’espace sur les deux premières années. Pour le reste, la vie demeurera ce qu’elle est : une somme de surprises, bonnes et mauvaises, face auxquelles enfants et parents mobilisent de part et d’autre des ressources créatives et surprenantes.
Pour les futurs parents adoptants, il ne s’agit pas d’éliminer tous les risques de leur parentalité comme si toutes les difficultés à venir pouvaient être anticipées, mais plutôt de ne pas en surajouter à leur insu. Le rôle des professionnels est de leur permettre de mesurer et d’assumer au mieux les conséquences à long terme de leurs choix.
Dekens S. (2014), « Adoption d’enfants présentant des besoins spécifiques: accompagner le projet parental pour prévenir certains risques », Bulletin n°182 du Service social international (SSI-ISS)