Accepter son enfant tel qu’il est
Huit ans après l’adoption d’une enfant de 6 ans, Aline, ses parents reviennent sur le parcours qui les a menés jusqu’à elle, les premiers temps de leur vie commune et le quotidien désormais installé.
Notre démarche d’adoption provient d’un désir d’avoir un deuxième enfant. Après un diagnostic pesant d’une grossesse présageant un réel danger, pour l’enfant et pour moi-même, nous avons décidé de construire notre projet et de demander un agrément pour un enfant âgé de 4 à 8 ans.
Un souffle d’espoir… vite refermé
Nous avons eu une première proposition, une enfant de 8 ans. Nous nous sommes rendus à l’entretien de l’Ase qui nous a donné un souffle d’espoir ; mais peu de temps après, le service nous a rappelés pour nous expliquer qu’une personne qui côtoyait cette enfant semblait prioritaire au vu des liens déjà connus. Puis, un deuxième contact pour un enfant porteur d’un handicap, mal évalué : le service nous a expliqué que l’évolution du handicap ne nous permettrait pas d’accueillir l’enfant.
À quelques mois de la fin de l’agrément, l’espoir se refermait de plus en plus. Nous avons alors eu un contact dans un département mais avec très peu de détails, il s’agissait d’une fille de 6 ans, Aline. Nous avons répondu favorablement à cette proposition et tout a été chamboulé dans notre vie.
Nous avons appris que l’adoption avait été rendue possible par décision du juge, suite à un délaissement total de la fratrie : deux garçons de 8 et 7 ans, Aline, 6 ans, et des jumeaux de quelques mois. Tous ont retrouvé une famille et seuls les jumeaux vivent ensemble. Maintenir la fratrie, selon la psychologue, ne leur aurait pas permis d’évoluer, mieux valait qu’ils se reconstruisent séparément. Nous avons donc décidé de présenter notre famille au Conseil de famille. Une période très stressante jusqu’au coup de fil nous confirmant que notre souhait allait se réaliser.
Bien sûr, il fallait nous préparer nous aussi
Bien sûr, il fallait nous préparer nous aussi. Nous avons choisi de nous présenter à Aline grâce à un album photo, et avec l’appui d’une peluche transitoire qui ressemblait beaucoup à notre chat Mimi : à chaque page et photo de chaque pièce de la maison se cachait l’image de Mimi. Nous avons su, quelque temps après, qu’Aline montrait cet album à tout le monde et qu’elle ne quittait plus sa peluche. Nous avions déjà créé un lien. Une semaine plus tard, nous l’avons appelée, nous nous sommes vite aperçu qu’elle avait un important retard de langage, elle ne construisait pas de phrases. Le deuxième jour, elle a prononcé ces mots : Papa, Maman. Une émotion inoubliable : une enfant que vous n’avez jamais vue vous dit Maman. Au fil des jours, elle parlait davantage, nous la sentions plus détendue, plus libérée.
L’assistante sociale et la psychologue qui suivaient Aline ont fait la route pour un départ définitif : aller chez Papa et Maman. Une journée angoissante, longue, même interminable ; ATTENDRE son enfant ! On se pose une multitude de questions, on a peur de ne pas être à la hauteur. Coup de téléphone : elle n’arrivera qu’en fin de journée…
Notre fils avait préparé des banderoles de bienvenue, accroché des ballons dehors mais il commençait à faire nuit, alors nous avons tout déplacé dans le salon pour son arrivée tardive. À peine entrée, elle est montée dans la chambre de son frère pour jouer à la console avec lui. La soirée s’est bien passée, nous avons mangé des crêpes, elle nous souriait. Les personnes qui l’accompagnaient sont restées dans le secteur plusieurs jours et venaient nous rendre visite.
Aline était heureuse de nous présenter à sa famille d’accueil
Une semaine plus tard, nous avons dû tous nous présenter à la commission organisée par le service adoption et dire au revoir à sa famille d’accueil. Heureusement, ces deux personnes étaient encore présentes, ce fut un moment difficile, nous nous sentions mal à l’aise, mais Aline était heureuse de nous présenter à sa famille d’accueil. Nous avons ensuite pris ses dernières affaires et sommes rentrés à la maison.
Nous avons tout de suite enchaîné par une semaine d’école. Aline était en grande section de maternelle et son frère en CE2, j’ai pris un congé parental pour assurer les trajets et les repas du midi, nous voulions offrir les mêmes conditions à nos deux enfants. Aline a beaucoup évolué pendant ces années et son frère a beaucoup contribué à ses progrès, il a joué au maître d’école qui, par le jeu, les imagiers, les histoires, lui comblait ses lacunes.
Il y a eu des moments plus difficiles à gérer, comme le pipi au lit, car Aline avait une couche pour la nuit. Quand elle est arrivée, nous avons abandonné les couches… en échange de nombreuses lessives des draps, puis je me suis levée toutes les nuits pour l’emmener aux toilettes. Au fil des années, elle a pris conscience qu’elle pouvait se lever seule et a réussi à contourner son problème. Est venue la période du « je renais », quand elle se cachait sous mes pulls les soirs devant la télé. Son « manque » de nourriture reste une difficulté : elle en cachait partout jusqu’au croûton de pain, maintenant encore, elle a l’habitude de tout engloutir sans penser aux autres.
Et le plus difficile, la haine due à son abandon qu’elle répercute sur moi, faisant très souvent la confusion entre moi et sa mère biologique. Je porte ses insultes, son mépris alors que son papa est plutôt son protecteur, le papa gentil ! Il y a aussi toutes les questions qu’elle se pose : Pourquoi on m’a abandonnée ? Parce que j’étais méchante… Pendant un long moment, elle s’est culpabilisée, elle se reprochait d’avoir mal fait. Et mes frères, où sont-ils ? Nous parlons beaucoup de sa situation sans pour autant trouver de solutions et d’explications. Elle sait que nous l’aiderons à les retrouver à sa majorité si elle le veut toujours.
Discuter de son ressenti, de ses projets et ses angoisses
Aujourd’hui, Aline va bien, elle est en quatrième et elle vit sa passion : le foot. C’est une adolescente qui partage ses joies mais aussi ses coups de gueule en claquant la porte de sa chambre. Son frère et elle continuent à avoir de bons échanges : quand ils ne sont pas ensemble, ils s’ennuient et se disputent quand ils passent trop de temps ensemble.
Nous pensons qu’il faut accepter son enfant tel qu’il est, avec son vécu, son histoire. On peut l’aider à reprendre confiance, à s’aimer tel qu’il est, il faut beaucoup discuter de son ressenti, de ses projets et ses angoisses… Et surtout ne pas oublier de donner des limites car les relations peuvent vite déborder. Le plus beau cadeau, ce sont ces mots : Merci de m’avoir adoptée. Ce qui nous fait oublier les difficultés passées et celles à venir.
Témoignage d’Aline (à 14 ans)
Mes joies ont été d’avoir une nouvelle famille, une nouvelle maison et des animaux puis des proches qui m’aiment comme je suis.
Mes difficultés sont que, à l’école, il y avait des camarades qui m’aimaient pas, juste parce que j’étais pas comme eux, c’est-à-dire adoptée mais c’est faux. Ce qu’il faut se dire c’est : Qui que tu sois, tu es un humain donc tu es comme tout le monde. Et que tu as le droit de vivre et d’être aimé.
Mes déceptions, c’est de ne pas savoir qui étaient mes parents d’avant et aussi de ne pas savoir comment vivent mes frères et ma sœur. Pour moi, c’est quand même difficile mais de toute façon, c’est de vivre avec les personnes qui nous aiment et moi de même.
Les moments avec mon frère sont cool parce qu’on joue ensemble, on rigole, on se chamaille et ce sont des moments que je n’ai pas eu avec mes frères et ma petite sœur biologiques.
Mes moments avec ma maman actuelle, dès fois, je crois que c’est ma vraie maman alors parfois je lui en veux mais je ne devrais pas, parce que ce n’est pas elle qui m’a abandonnée, moi, mes frères et ma sœur. J’aime me dire qu’en fait j’étais dans le ventre de ma deuxième maman, parce que ça me fait plaisir qu’ils m’aiment.
Mon arrivée à la maison a été un grand moment joyeux car la maison était grande et qu’il y avait un grand terrain pour jouer dehors. Je n’avais jamais vu d’animaux. J’ai eu une chambre blanche que j’ai peinte avec mon frère et ma maman en violet, rose et beige, puis un grand lit et un bureau.