Les besoins psychoaffectifs des enfants pupilles

Dans cet article, Sandrine Dekens, coordinatrice du service Enfants en recherche de famille, présente les besoins psychoaffectifs des enfants pupilles auxquels il faut pourvoir pour qu’ils développent leurs potentialités, la manière dont leur parcours peut s’accompagner de carences qui entravent leur développement.

Elle donne également quelques pistes pour que les parents par adoption puissent prendre en compte le mieux possible les spécificités et les blessures de leur enfant.

Besoins psychoaffectifs des enfants pupilles

Répondre aux besoins psychoaffectifs des enfants pupilles

L’expérience qui nourrit cet article est le fruit d’un parcours clinique auprès de plusieurs publics : des familles et leurs enfants adoptés à l’étranger rencontrant des difficultés psychologiques, des parents et leurs enfants accueillis à la journée chez des assistantes familiales en prévention d’un placement ASE et vivant dans des familles à la parentalité carencée, ainsi que des enfants placés en familles d’accueil thérapeutiques. Ces expériences cliniques nourrissent à ce jour ma réflexion et ma pratique au sein d’Enfants en recherche de famille (ERF), dispositif que je coordonne depuis septembre 2008. La principale mission d’ERF est de faciliter la recherche de parents dont le projet d’adoption paraît répondre aux besoins des enfants pupilles que nous appelons « à particularité », faute d’un mot plus consensuel.

S’agissant de répondre aux besoins des enfants via l’adoption, nous sommes amenés à nous interroger sur la nature de ces besoins et sur la manière dont la parentalité adoptive peut les satisfaire. Dans cet article, j’exposerais les besoins psychoaffectifs auxquels il faut pourvoir pour que les enfants développent leurs potentialités, je présenterais également la manière dont le parcours des pupilles peut s’accompagner de carences qui entravent leur développement et pour conclure, je donnerais quelques pistes pour que les parents par adoption puissent prendre en compte le mieux possible les spécificités et les blessures de leur enfant.

Des besoins pour grandir

Pour grandir, les besoins des enfants varient selon leur âge et leur développement global (physiologique, psychomoteur, cognitif, émotionnel, affectif, social, etc.). Il existe de nombreux modèles théoriques qui ont proposé différents schémas organisant les besoins. Pour cet article, j’ai sélectionné les besoins psychoaffectifs fondamentaux auxquels il est indispensable de répondre dès le plus jeune âge de l’enfant. La plupart d’entre eux restent valables au fil du développement, durant l’enfance, l’adolescence et jusque l’âge adulte pour certains.

Ainsi, pour grandir, le jeune enfant doit satisfaire divers besoins.

Besoin d’attachement et de relations sociales

Il s’agit d’un besoin primordial qui doit être préalablement assuré pour que le bébé puisse satisfaire au mieux ses autres besoins, comme s’alimenter par exemple. L’attachement se construit d’abord entre le bébé et une figure de référence (qui peut être la mère, mais également toute autre figure maternelle), sur laquelle il s’étaye pour se découvrir puis rencontrer le monde. Progressivement, un tiers peut être introduit comme seconde figure d’attachement puis d’autres personnes entrent dans la sphère affective du jeune enfant qui s’étend peu à peu.

Besoins primaires

Alimentation, sommeil, vêture, abri… subvenir aux besoins matériels est une nécessité vitale pour l’enfant, mais leur prise en charge (même adéquate) ne peut en aucun cas se substituer aux besoins affectifs. Il est reconnu que les bébés vivant dans une institution qui pourvoit uniquement à leurs soins matériels sans proposer de relation affective,  cessent de s’alimenter et même de grandir (dépression par défaut d’étayage).

Besoin de stimulation

Le jeune enfant a besoin de trouver dans son environnement et auprès des personnes auxquelles il s’attache, des conditions favorables pour apprendre de nouvelles choses et réaliser tout son potentiel. La stimulation résulte conjointement de l’exposition à la nouveauté et de l’envie de s’y adapter. La stimulation peut être sensorielle, cognitive, psychomotrice mais elle est également affective, car le jeune enfant a besoin que ses progrès et ses exploits soient connotés positivement par ses figures d’attachement. Cette dimension affective soutient la réalisation de progrès : l’enfant s’appuie sur le plaisir de l’autre pour ressentir du plaisir et à progresser et avoir envie de grandir.

Besoin de continuité et de permanence

Pour comprendre le monde, le bébé a besoin de repérer des régularités dans les successions d’événements qui constituent sa vie quotidienne et dans les états affectifs des personnes qui prennent soin de lui. C’est cette capacité de prévoir et d’anticiper qui protège l’enfant de l’angoisse. Pour ce faire, l’enfant a le besoin fondamental de vivre dans une relative continuité de personnes et de lieux. Les discontinuités et ruptures produisent une forme de stress qui doit être accompagné par la parole.

Besoin de sécurité et de protection

Pour avoir envie d’explorer le monde extérieur et pouvoir s’adapter aux nouveautés, le bébé a préalablement besoin de ressentir et d’éprouver sa sécurité physique, psychologique et affective. Il se sait vulnérable et doit se sentir protégé pour s’aventurer dans le monde extérieur et affronter ses dangers. Ce sentiment de protection est d’abord pourvu par des figures extérieures stables et adaptées (maternelle et/ou paternelle) puis il va progressivement s’intérioriser pour finalement constituer une sécurité intérieure sur laquelle tout enfant s’appuie pour grandir.

Besoin de sens

Les enfants dès leur plus jeune âge, ont besoin de comprendre, de mettre du sens sur ce qui arrive, quelle que soit la complexité de leur situation ou les difficultés qu’ils doivent traverser. Pour accéder au sens des événements, ils ont besoin de la parole de l’adulte, qui met des mots simples sur les faits et les affects de l’enfant, et qui est disposé à répondre à ses questions. Laissé seul face au vide de sens, l’enfant, aussi jeune soit-il, va devoir trouver seul ses propres explications et va construire un récit personnel parfois très éloigné de la réalité.

Un développement qui témoigne d’un parcours carencé 

La plupart des enfants arrivant aujourd’hui dans une famille d’adoption ont traversé des carences plus ou moins importantes concernant les besoins qui viennent d’être décrits. Soit parce qu’ils ont vécu auprès de figures parentales qui n’ont pas su ou pu les investir positivement et/ou répondre de manière adaptée à leurs besoins. Soit parce qu’ils ont été précocement accueillis en collectivité sans référente (pouponnière, hôpital, orphelinat, etc.). Soit parce qu’ils vivaient dans un milieu trop pauvre ou trop en difficulté sociale. Pour ces nombreuses raisons, les enfants qui finissent par être placés ont été carencés au sein de leur famille, par défaut de réponse à leurs besoins primaires, à leur besoin de stimulation et de sécurité. Les capacités à s’attacher ont été soumises aux aléas d’une parentalité souvent inadaptée et parfois maltraitante.

Des blessures psychologiques plus ou moins importantes

Ils grandissent donc avec des blessures psychologiques plus ou moins importantes que le placement en tant que tel ne va pas toujours être en mesure de réparer. Les placements vécus par les enfants devenus pupilles, occasionnent des ruptures successives, d’abord avec leur environnement d’origine (avec la fratrie, avec un ou deux parents ou d’autres figures d’attachement qui comptent pour lui) puis avec les familles les accueillant au fil de leur développement. Les parcours des enfants pupilles sont souvent caractérisés par des ruptures affectives multiples, par la perte du sens des événements vécus, et par la perte de la mémoire de l’histoire de l’enfant. C’est ainsi que malgré le placement, il peut persister des carences en termes de besoins de continuité, de sécurité et de sens.

Des comportements sur fond d’anxiété parfois très envahissants

Ainsi, l’expérience de vie de ces enfants au sein de leur famille d’origine puis du placement, leur a appris à ne plus faire confiance aux adultes, à ne pas s’aimer eux-mêmes et à se penser voués à un destin sombre et à une vie de malheur. Ces parcours « cabossés » ont un retentissement psychologique très repérable dans le comportement de l’enfant : ayant appris à ne compter que sur lui-même, il a un développement très égocentré, il est affectivement insécurisé et donne à voir beaucoup d’anxiété. Il est fréquent que ces enfants aient des comportements paradoxaux mêlant une importante avidité affective, demandant à être au centre de toutes les attentions, tout en mettant sans cesse à l’épreuve les nouveaux liens, par exemple en transgressant les règles de la vie familiale, en défiant l’autorité, en développant de l’agressivité à l’égard des autres enfants. Ils voudraient être aimés tout en étant persuadés qu’ils ne sont pas aimables. Ces comportements s’inscrivent sur un fond d’anxiété parfois très envahissant qui va de pair avec une hyperactivité, le besoin de bouger, de se dépenser physiquement. Ils dorment peu ou ont un sommeil agité, ils développent un goût pour la nature et une attirance pour les animaux.

La famille comme espace de réparation ?

L’adoption constitue une école de modestie

Ni les fonctions parentales, ni la cellule familiale, ni l’amour que des parents sont prêts à donner, ne seront tout-puissants pour réparer ces blessures psychiques. L’adoption aura d’autant plus de difficulté à réparer l’enfant que ses blessures sont précisément le résultat d’un parcours marqué par d’autres figures parentales qui n’ont pas pu ou su aimer et protéger l’enfant, qui l’ont délaissé, maltraité, qui l’ont considéré comme un objet que l’on pouvait déplacer (souvent pour de mauvaises raisons), et qui ne lui ont pas permis de s’attacher et de faire l’expérience d’adultes, à fortiori de parents, capables de lui « donner du bon ». Ainsi, l’adoption constitue une école de modestie, où des adultes désirant occuper une fonction parentale et comme ils l’expriment souvent, « donner de l’amour », vont rencontrer des enfants ayant été blessés affectivement et psychologiquement, qui éprouveront des difficultés à recevoir cet amour, quand bien même ils en auront envie.

Développer certaines compétences parentales afin de permettre à l’enfant de vivre de nouvelles expériences réparatrices

Les personnes qui s’engagent dans une telle aventure auront donc à développer certaines compétences parentales afin de permettre à l’enfant de vivre de nouvelles expériences réparatrices.

La première de ces compétences parentales sera de se préparer en s’informant très précisément sur le profil des pupilles adoptables, sur le fonctionnement psychologique de ces enfants au parcours difficile, sur les différentes formes que peuvent prendre les blessures psychoaffectives et sur leurs conséquences dans la vie quotidienne et la parentalité. S’imaginer parent par adoption, c’est être capable de se montrer contenant, installer un cadre éducatif et affectif sécurisant, tout en restant souple et adapté. C’est aussi travailler sur sa propre anxiété et insécurité pour ne pas risquer de s’effondrer face aux attaques de la parentalité qui ne manqueront pas d’être importantes. J’ai développé ces capacités parentales à l’œuvre dans la parentalité adoptive dans un article de la revue Accueil.

Ambitions parentales pour l’enfant et prise en compte de ses difficultés et de ses compétences réelles

La dimension de réparation des blessures psychiques d’un enfant blessé par la vie qui sous-tend le projet adoptif, peut parfois se situer au premier plan des motivations parentales, reléguant au second plan les enjeux de filiation. Dans cette configuration, les enjeux de réussite, qui pèsent sur l’adoption, seront à modérer afin de maintenir l’équilibre toujours fragile entre les ambitions, les rêves que font les parents pour l’enfant et la prise en compte de ses difficultés et de ses compétences réelles. En effet, si l’écart est trop important entre les attentes parentales, le désir que l’enfant se répare grâce à l’adoption, et les capacités de l’enfant, la pression à la réussite devient trop importante et peut produire un effet de « décrochage », l’enfant se décourageant car il ne se sent pas aimé pour ce qu’il est.

Cet article porte sur les besoins psychoaffectifs des enfants pupilles en mettant en évidence un certain nombre de carences liées à leur parcours de vie. J’ai choisi à dessein de me centrer sur l’adoption nationale, sachant que les enfants arrivant de l’étranger sont susceptibles d’avoir le même type de vécu s’ils ont vécu dans des conditions comparables à la France. Dans les cas où les conditions de vie sont plus défavorables au développement des enfants (traumatismes, abus, vie dans la rue etc.), d’autres difficultés s’ajouteront aux problèmes psychoaffectifs de base présentés ici.

À lire prochainement sur ce blog

  • Anne Ferran-Vermot, Maltraitance et négligence : du temps et des soins