Retard de croissance dans l’adoption

Il est fréquent qu’un enfant arrivant par adoption présente des mensurations nettement inférieures à celles attendues pour son âge, on parle alors de retard de croissance, mais il existe plusieurs types de retards dont l’origine, les conséquences et les capacités de récupération diffèrent. Il convient donc de comprendre de quoi on parle précisément.

Retard de croissance

Par le docteur Odile Baubin, pédiatre référent du service ERF

Le retard de croissance n’est qu’un signe parmi d’autres, résultat d’un accroc dans le processus de croissance, processus qui représente le travail prioritaire de l’organisme durant toute la petite enfance et même avant, pendant la grossesse. Imaginez : durant la période embryonnaire et surtout fœtale, le bébé, qui part de deux cellules microscopiques, doit prendre en moyenne 50 cm et 3 kg en à peine neuf mois. Après sa naissance, Il va encore devoir tripler son poids au cours de sa première année de vie, et doubler sa taille en quatre ans. Un vrai challenge qu’il ne rencontrera plus avant l’adolescence, mais c’est une autre histoire.

Grandir et grossir, de manière régulière et coordonnée

Pour mieux comprendre les « ratés » qui peuvent se produire, il nous faut d’abord observer le déroulé normal. La croissance du petit enfant consiste à grandir et grossir, de manière régulière et coordonnée ; c’est la raison pour laquelle il est si important de mesurer à intervalles réguliers la taille, le poids et le périmètre crânien qui, lui, évalue la croissance du cerveau. Pour une croissance harmonieuse, c’est comme pour toute construction : il faut des ouvriers, en l’occurrence les cellules, qui ont chacune leur spécialité (cellules osseuses, musculaires et nerveuses). Celles-ci doivent avoir à leur disposition tous les matériaux nécessaires, en temps et en heure, en quantité suffisante et de bonne qualité si possible ; ce sont les éléments nutritifs apportés par l’alimentation pour la plupart, et véhiculés par le sang. Enfin, pour que les travaux avancent dans le bon ordre, le cerveau joue les chefs de chantier et envoie ses contremaîtres, les hormones, réguler et coordonner les différentes phases. Chaque étape et surtout chaque acteur peuvent être défaillants et provoquer du retard dans le chantier de construction.

Le RCIU ou retard de croissance intra-utérin

Attachons-nous d’abord au retard de croissance intra-utérin (RCIU) ; ce sont ces nouveau-nés dits « hypotrophes » car petits et de faible poids par rapport aux courbes moyennes établies en fonction de leur terme à la naissance. Il n’est pas rare que, dans les dossiers médicaux en adoption internationale, on parle de « prématuré » au regard du poids de naissance, alors que l’observation de leur capacité d’adaptation dans les premiers jours de vie montre qu’il s’agit de nouveau-nés à terme mais hypotrophes. Ce ne sont pas les mêmes causes ni les mêmes risques, et les deux peuvent se cumuler (on peut être prématuré et souffrir de RCIU).

Un mot sur le nanisme, qui n’est pas spécifique à l’adoption mais qui peut être un des motifs d’abandon. Ce sont les cellules osseuses qui sont déficientes et qui produisent de l’os de mauvaise qualité ; il existe plusieurs formes de nanisme qui, toutes, sont d’origine génétique et visibles dès la naissance. Aucun traitement ne viendra compenser cette anomalie dont l’évolution dépendra des atteintes osseuses.

Beaucoup plus fréquemment, c’est l’insuffisance des apports qui est en cause.

Les carences nutritionnelles

Une alimentation insuffisante ou déséquilibrée chez la mère va retentir sur la croissance de son fœtus, et le manque d’un ou plusieurs éléments constitutifs peuvent créer de véritables pathologies chez le nouveau-né. On sait par exemple que le manque de vitamines B12 et d’acide folique peut être responsable de malformations neurologiques ou de fentes labio-palatines.

Des troubles vasculaires chez la mère

Des troubles vasculaires chez la mère peuvent freiner l’approvisionnement régulier et retentissent sur la croissance : l’hypertension, pathologie fréquente de la grossesse, ou les anomalies d’insertion du placenta vont provoquer des irrégularités d’apport sanguin au fœtus qui ne recevra pas toujours les bons matériaux au bon moment.

Les toxiques

L’ingestion (ou l’inhalation) de toxiques tels que l’alcool, le tabac et autres drogues entraîne des phénomènes de constriction et de dilatation des vaisseaux sanguins qui impactent forcément la nutrition du fœtus, indépendamment de leur effet nocif direct sur les cellules dont nous avons déjà parlé ailleurs (voir « Enfant de mère toxicomane).

Par ailleurs, tous les événements venant perturber la tension artérielle et le débit sanguin chez la mère auront un retentissement sur la nutrition de son bébé : stress, fièvre, anémie, pour ne citer que les plus courants.

Les viroses

Parmi les infections qui peuvent toucher la femme enceinte, une attention particulière est portée à certaines viroses, bénignes pour l’adulte mais qui peuvent être responsables de malformations chez son bébé. Le retard de croissance est alors parfois le seul signe visible à la naissance et le dosage des anticorps de la mère (ou de l’enfant quand cela n’a pas été fait pendant la grossesse) permet d’en préciser le diagnostic et de rechercher à bon escient les malformations qui pourraient être associées. Par exemple, la rubéole peut s’accompagner d’anomalies ophtalmologiques (cataracte) ou de cardiopathie, et le cytomégalovirus de surdité.

L’impact du déni de grossesse sur la croissance

On peut légitimement se poser la question de l’impact du déni de grossesse sur la croissance in utero. L’expérience montre qu’un fœtus peut se développer normalement même s’il n’est pas attendu ni désiré par sa mère. C’est le cerveau maternel qui fait office de chef de chantier, celui du futur bébé n’étant pas opérationnel avant les dernières semaines. Cependant, il n’est pas à l’abri d’une carence nutritionnelle ou d’autres aléas qui peuvent d’autant plus impacter la croissance que la mère ne se sait pas enceinte. On voit le cerveau fœtal reprendre le leadership en fin de grossesse, provoquant parfois un accouchement prématuré comme solution de sauvetage lorsque les conditions de survie in utero deviennent trop risquées. Il n’est en effet pas rare de voir ces prématurés hypotrophes se débrouiller à la naissance avec un minimum de soins dans les services de néonatalogie : ce sont ces histoires de prématurés élevés autrefois dans une boîte à chaussures garnie de coton.

Quelles séquelles ?

Selon l’intensité et la durée de ces événements intercurrents, les séquelles sont plus ou moins importantes et les conséquences totalement ou partiellement régressives. Un des meilleurs indicateurs pronostic est encore une fois la courbe de croissance. Dès que la « privation » cesse et que le processus de croissance peut reprendre son cours normal, on observe un phénomène de rattrapage plus ou moins rapide et plus ou moins efficace. On a coutume de dire que le RCIU qui récupère la courbe moyenne de croissance dans sa première année de vie a peu de risques de séquelles liées à cette période de « malnutrition in utero ». Il ne faut cependant pas oublier que les causes de cette hypotrophie peuvent, de leur côté, laisser d’autres séquelles. Parmi les conséquences fréquemment retrouvées, on observera des difficultés d’apprentissage, avec la cohorte des DYS (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dyspraxie). La surveillance de la croissance du périmètre crânien évalue celle du cerveau et une stagnation ou un manque de rattrapage peut faire craindre un retard cognitif.

Des « petits mangeurs »

Parmi les enfants hypotrophes qui restent largement au-dessous des courbes, on trouve assez souvent des « petits mangeurs ». Les essais d’augmentation de leur ration alimentaire sont rarement efficaces et peuvent induire des troubles de l’oralité chez ces enfants déjà fragiles psychologiquement. Ils gardent ensuite fréquemment une relation compliquée à la nourriture, qui devient le mode d’expression de leur mal-être : ce sont ces enfants qui vomissent à la moindre contrariété. De quoi déstabiliser des parents soucieux de leur prise de poids ! Ces « petits modèles » ne sont pas pour autant plus fragiles et leur petit gabarit leur permet souvent d’être très performants physiquement car ils gardent une formidable fureur de vivre.

Le retard de croissance après la naissance

Attachons-nous maintenant aux enfants nés avec un poids et une taille tout à fait satisfaisants, et qui au fil des premiers mois ou des années ralentissent leur croissance. C’est une situation particulièrement fréquente dans l’adoption, y compris nationale, même si on l’observe plus facilement à l’international.

Au premier rang des responsables, la malnutrition

Sans un apport calorique suffisant, une nutrition équilibrée qui apporte tous les éléments indispensables, la croissance ne peut se faire de façon optimale et le retard de croissance fait presque partie des incontournables dans l’adoption. Le déficit d’apport en protéines animales retentit sur la constitution des muscles. Le manque d’exposition au soleil ou de complément de vitamine D ralentit la fixation du calcium indispensable à la construction de l’os. Ces deux phénomènes s’accompagnent d’un retard du développement psychomoteur, l’ossature et la musculature n’étant pas suffisamment solides pour s’asseoir, marcher, etc. Le manque de vitamines ou d’oligoéléments tels que le fer va engendrer une anémie, une diminution de la résistance aux infections, qui viennent encore ralentir le processus de croissance. La plupart du temps, ces carences se comblent facilement dans les mois qui suivent l’arrivée de l’enfant, lui permettant là aussi un rattrapage tant sur le plan de la croissance que de la psychomotricité. Seules les carences d’apport en lipides, indispensables pour les cellules nerveuses qui se forment pendant la grossesse et les deux premières années de vie, feront le lit de troubles persistants tels que les difficultés d’apprentissage et autres dysfonctionnements cérébraux.

Le retard de croissance psychosocial

Un phénomène particulier et fréquent chez l’enfant délaissé est le retard de croissance psychosocial. Tout se passe comme si le cerveau, grand manitou de l’organisme, ne voyait pas d’intérêt à assurer une croissance régulière et correcte en l’absence de projet d’avenir. Des enfants correctement nourris, mais victimes de négligence, d’abandon, de carence affective, peuvent ralentir leur vitesse de croissance sans pour autant s’arrêter complètement. En attente de jours meilleurs, ils se sont mis comme « en veille », réalisant le minimum syndical pour ne pas dépérir mais sans plus. Ce sont ces enfants qui, à l’arrivée chez leurs parents ou à l’annonce d’un projet d’apparentement, se mettent tout à coup à grandir et grossir, prenant plusieurs tailles en quelques mois et rattrapant allègrement les enfants de leur âge. On a longtemps cru que cette poussée de croissance à l’arrivée était liée à une alimentation plus adaptée ; je pense qu’il n’en est rien et que leur vigoureux appétit n’est que la conséquence de cette accélération de croissance. L’enjeu est ensuite de les freiner lorsqu’ils auront récupéré une vitesse de croisière normale car d’autres enjeux psychologiques s’en mêlent (boulimie, peur de manquer, etc.). On estime aussi que cet emballement pourrait être l’une des causes de la puberté précoce.

D’autres pathologies

D’autres pathologies communes à tous les enfants peuvent impacter le bon déroulement du processus de croissance, et il convient de les rechercher devant une mauvaise courbe de croissance :

  • Les maladies digestives (intolérances digestives diverses, malabsorptions, infections intestinales), qui entravent l’absorption des nutriments, retentissent tôt ou tard sur la croissance.
  • Les troubles hormonaux sont souvent accompagnés d’un retard de croissance chez l’enfant ; rappelez-vous que les hormones jouent un rôle de transmission entre le cerveau et les cellules.
  • Les pathologies cardiaques et respiratoires, en perturbant la circulation sanguine, retentissent aussi sur la croissance.

Courbe de croissance et périmètre crânien : de précieux indices

Ces interférences sont les plus fréquentes, mais il faut garder à l’esprit que tout dysfonctionnement interne chez l’enfant peut s’accompagner d’un retard de croissance. Et la prise régulière des mensurations de l’enfant, de sa naissance jusqu’à l’âge adulte, est un bon reflet de sa santé physique et psychologique et permet, dans le domaine qui nous concerne, une bonne évaluation des carences subies et des capacités de récupération. Pour une fois, les parents peuvent « jouer au docteur » et tracer la courbe de croissance de leur enfant dans les premiers mois, voire années, après son arrivée. Une fois par mois au début puis tous les trois ou six mois ensuite, avec un pèse-personne de qualité et un mur bien droit sur lequel on collera une toise enfantine ou bien où l’on tracera des traits au crayon à l’ancienne, cela participe à visualiser les progrès de nos enfants, permet de regarder avec eux le chemin parcouru au lieu de se focaliser sur le retard qu’il reste à combler.

Et dans l’étude des dossiers médicaux des enfants proposés à l’adoption, quelques points de mesures permettant de tracer une courbe sont parfois plus parlants que des examens biologiques et/ou radiologiques à un instant T. Quand on a la chance de récupérer les carnets de santé des enfants pupilles de l’État arrivés grands, et lorsque ces derniers ont été correctement renseignés, il n’est pas rare de « lire » sur la courbe de croissance les événements qui ont émaillé leur petite enfance et le temps qu’ils ont mis à les « digérer ». Ce seront de précieuses informations dans le cadre du bilan d’adoptabilité.