Santé et projet d’adoption d’un jeune enfant

Quand santé et projet d’adoption d’un jeune enfant se conjuguent… Travailler un projet d’adoption pour un nourrisson présentant des problèmes de santé nécessite de prendre le temps d’évaluer ses besoins spécifiques pour trouver la meilleure famille, celle qui sera en capacité de répondre au mieux à ces besoins. Mais ce temps de réflexion et d’évaluation indispensable peut se révéler aller à l’encontre de l’intérêt de l’enfant. À l’aide de quelques exemples, le Dr Odile Baubin, médecin pédiatre référent d’Enfants en recherche de famille, tente d’identifier les mécanismes qui interviennent pour mieux les éviter ou les contourner.

 

Par le Dr Odile Baubin

Lorsqu’on prend en charge l’avenir d’un bébé ou d’un petit enfant, dans le cadre d’un projet d’adoption, on se donne du temps pour affiner au plus près ses besoins et rechercher la famille qui y répondra le mieux. Le temps est un gage de sérieux, nécessaire à la réflexion, et garant de la qualité du projet que nous pourrons mener. Pourtant, si nous n’y prenons garde, il peut se retourner contre l’intérêt même de l’enfant : la notion de temps n’a pas la même valeur pour lui.

Plus l’enfant est jeune, plus le temps semble prendre de place

Tous les professionnels de la petite enfance ont appris et ont eu l’occasion de constater que l’état de santé d’un enfant peut se dégrader en quelques minutes, voire quelques secondes pour les prématurés. À l’inverse, les enfants sont capables de récupérer beaucoup plus rapidement que les adultes. Vous avez tous pu expérimenter, un jour ou l’autre, comment un enfant qui s’est levé en pleine forme, vaquant à ses occupations habituelles, se retrouve prostré dans l’heure qui suit, terrassé par une fièvre à 40 °C ou la douleur d’une otite. Vous avez sans doute aussi envié leur faculté à se lever et à courir partout, comme si de rien n’était, après une intervention chirurgicale pour l’appendicite par exemple, alors que vous vous traînez lamentablement la main sur le ventre pendant une bonne semaine !

Faisons un exercice !

Pour vous permettre de mieux comprendre cette différence dans la notion de temps, je vous propose un exercice. Vous pourrez le réaliser concrètement chez vous, mais je vous demande déjà de le mentaliser. Disposez côte à côte une dizaine de photos d’un enfant de votre entourage, ou de vous-même si vous en avez, entre la naissance et un an. Le changement est évident, et on a souvent de la peine à affirmer qu’il s’agit de la même personne. Faites ensuite la même chose avec vos photos d’adulte sur les dix ou quinze dernières années. Les modifications physiques ne sont pas si marquantes si l’on excepte la coiffure et les accessoires qui changent avec la mode. Dans tous les cas, on y décèle parfaitement la continuité.

Le temps de l’enfant avance beaucoup plus vite que le nôtre, et nous devons l’avoir en permanence à l’esprit lorsque nous prenons des décisions pour lui.

À la naissance

Lorsqu’un enfant adoptable présente un problème de santé, sa prise en charge interfère bien évidemment dans le processus d’adoption, et de façon différente selon la nature et l’évolution de la pathologie.

Si la pathologie est présente dès la naissance et le diagnostic évident, on prendra le temps de faire un bilan pour connaître l’étendue des dommages, le type de lésion(s). On demandera des avis spécialisés pour définir la meilleure conduite à tenir. On mettra en route cette prise en charge, d’une part pour donner toutes ses chances à l’enfant, d’autre part pour observer ses réactions et avoir une idée de son évolution ultérieure, évaluer son pronostic. Tout ceci est parfaitement légitime et même indispensable, mais peut être « mangeur de temps ».

Un enfant souffrant d’une malformation cardiaque

Pour un enfant atteint d’une malformation de type communication intraventriculaire (CIV) importante avec des complications possibles ou d’une tétralogie de Fallot, ce qui revient pratiquement au même, même si le diagnostic a été fait pendant la grossesse (ce qui est plus rarement le cas dans un accouchement sous le secret), un bilan est nécessaire. Il sera établi par une équipe spécialisée en cardiologie infantile. La surveillance mise en place par la suite va permettre d’apprécier la tolérance de la pathologie : ces nourrissons sont sujets aux bronchites à répétition par surcharge de la circulation sanguine au niveau des poumons, et il existe fréquemment un retentissement sur la courbe de poids. Ce sont des enfants qui grossissent mal. Il est parfois nécessaire de mettre un traitement médicamenteux en place pour soutenir le cœur. Une chirurgie correctrice intervient généralement dans la première année de vie, mais le choix du moment de l’intervention résulte d’un compromis entre deux sortes de difficultés. L’acte chirurgical précoce comporte en lui-même de grands risques, et expose au risque de rétrécissement ultérieur, car la cicatrice ne grandit pas avec la croissance, de sorte que les spécialistes se donnent souvent une échéance en termes de poids à atteindre pour opérer. À l’inverse, lorsque des signes d’intolérance ou de gravité apparaissent, il ne faut pas tarder pour ne pas aggraver le pronostic et risquer des séquelles.

Si l’enfant est opéré, on attendra la cicatrisation et une série de bilans postopératoires seront réalisés pour évaluer la nécessité d’un traitement, la surveillance à mettre en place, etc. À chaque étape, on attendra quelques jours de stabilisation pour faire le point.

Une perte de chance

Tout cela prend du temps, entre six et douze mois, pendant lesquels – avec la meilleure intention du monde – on va priver l’enfant d’une famille. D’autre part, on se prive et on prive le bébé de facteurs de réussite, sur les plans tant clinique et chirurgical que relationnel. Depuis que les services de pédiatrie ont fait entrer les parents dans les services de soins, on sait que leur présence auprès des enfants hospitalisés accélère la guérison, tant par le soutien moral que par le soin individuel constant qu’apporte un parent présent au quotidien auprès de son enfant. La cicatrisation est meilleure. La prise en charge ultérieure aussi, car le parent qui vit au jour le jour les hauts et les bas de son enfant, affine sa capacité d’observation et de surveillance qui seront des atouts précieux pour les équipes médicales dans le dépistage des complications. Sur le plan relationnel, ces moments difficiles vécus ensemble vont être le ciment d’un lien parent-enfant solide.

Et si le diagnostic est plus tardif ?

Parfois le diagnostic ne se pose qu’au fil du temps. Il s’agit le plus souvent d’un nourrisson dont l’évolution ne se fait pas tout à fait comme il faudrait. Des petits retards apparaissent, des petits signes auxquels une équipe à l’affût est hyper vigilante.

On se donne le temps d’observer, on demande d’autres avis, on attend l’étape suivante dans la chronologie du développement normal. Tout en complétant le bilan pour établir un diagnostic, on met en place des prises en charge pour stimuler un enfant hypotonique, solliciter un nourrisson prostré. Et, d’étape en étape, les mois passent. On sait pourtant, depuis les travaux de Spitz (1946), qu’il suffit de quatre mois de séparation entre un bébé et sa mère pour créer de toutes pièces une véritable dépression du nourrisson. L’enjeu est donc de taille car si la situation perdure, elle peut laisser des séquelles. On peut d’ailleurs se poser la question de la part que prend le syndrome abandonnique dans l’accentuation des troubles et du retard observés chez l’enfant.

Sarah

Sarah est née « sous X ». On n’a pas de terme de grossesse très précis, mais au vu de son histoire médicale, on peut supposer qu’elle est née avec un peu d’avance. Dans les premiers jours, on note une hypotonie axiale (compatible avec la prématurité) et un regard « dans le vague ». Sarah est transférée dans un service de néonatalogie où on découvre une pyélonéphrite (infection des voies urinaires qui touche aussi le rein) avec un reflux des voies urinaires. C’est une pathologie relativement banale, qui se manifeste souvent par des troubles du tonus et de la vigilance chez le nouveau-né. Donc, tout s’explique.

Elle est traitée pour son infection, opérée de son reflux, et l’EEG (électroencéphalogramme : examen qui analyse l’activité électrique du cerveau), que l’on va faire par principe, est normal. Pourtant, on observe des troubles de la relation, avec des périodes d’inertie et d’autres où elle se raidit en opisthotonos (attitude du corps arc-bouté en arrière par hyperextension de la colonne vertébrale). Sur le plan psychomoteur, elle progresse bien, néanmoins comme tout le monde est inquiet et que l’on veut affiner le diagnostic pour la proposer à l’adoption, on va demander un caryotype (étude fine des chromosomes permettant de déceler une anomalie sur l’un d’eux) et une IRM et mettre en route des séances de psychomotricité.

C’est à ce stade qu’Enfants en recherche de famille (ERF) a eu connaissance du « dossier » de Sarah. Nous avons émis l’hypothèse qu’une composante dépressive commençait à s’installer chez cette petite fille, et c’est avec cette idée en tête que nous lui avons cherché des parents potentiels. Sans vouloir nier les risques sur le pronostic à long terme pour Sarah, sa souffrance psychique nous semblait passer au premier plan, et il lui fallait des parents capables d’assumer les deux. Les premiers échos que j’ai eus sont rassurants et tendent à prouver que nous avions vu juste.

Bien sûr, l’adoption de ces enfants plus fragiles ne doit pas se faire hâtivement. Cependant, dès qu’ils sont juridiquement adoptables, on peut essayer de trouver des parents prêts à prendre le risque avec eux, à se battre avec eux et pour eux. Des parents prêts à assumer l’incertitude.

Éviter l’impasse

Évidemment, l’évolution ne sera pas forcément favorable, mais on aura évité d’aggraver le handicap et d’aboutir à des situations d’inadoptabilité auxquelles on est parfois confronté. C’est le cas des enfants plus lourdement handicapés pour lesquels plus on tarde, plus on diminue leur capacité à être adoptés. Ayant besoin d’une lourde prise en charge, ils sont placés dans une famille d’accueil ou en établissement spécialisé où ils créent des liens avec les personnes qui les entourent. Auront-ils la possibilité, les ressources nécessaires pour créer de nouveaux liens, une véritable relation filiale avec une famille adoptive ? Pourtant, si l’on s’était posé la question beaucoup plus tôt, on leur aurait laissé une chance d’adopter de nouveaux parents et une famille pour la vie.

Denis

On sait peu de chose sur les conditions de sa naissance et les éléments qui nous ont été transmis ne nous permettent pas d’évoquer de diagnostic.

Placé en famille d’accueil dès sa naissance, il est déclaré adoptable à l’âge de 2 ans. Il en a huit quand nous sommes saisis, à ERF, dans le cadre d’un projet d’adoption.

Denis est scolarisé en IME (institut médico-éducatif), il a un gros retard, notamment au niveau du langage, présente des troubles de la communication et relationnels, des troubles du comportement. Il est décrit comme ayant besoin d’un entourage stable pour progresser. Mais à 8 ans, il a créé des liens affectifs avec les professionnels qui l’entourent, sa famille d’accueil et le personnel de l’IME. Aura-t-il la capacité à créer de nouveaux liens avec des parents, des frères et sœurs ? Rien n’est moins sûr. Je ne sais pas ce qui avait été tenté pour lui auparavant. Je ne peux que regretter, pour lui, qu’un projet n’ait pas pu aboutir plus tôt. Car en tout état de cause, il aurait pu être possible de lui trouver des parents quand il avait 2 ans, des parents prêts à l’accompagner dans sa prise en charge, dans les étapes diagnostiques si besoin, et avec qui il aurait créé des liens de filiation qu’il n’est plus désormais en capacité d’investir de la même façon.

Entre réflexion et temps perdu

Il n’est pas question ici de faire le procès de qui que ce soit. Dans toutes les histoires précédemment citées, les professionnels qui ont entouré ces enfants ont travaillé autour d’un projet d’adoption pour eux, l’ont fait avec conscience et compétence, du mieux possible. Mais je voulais illustrer comment ce « mieux possible » de l’adulte peut être l’ennemi du « bien » pour l’enfant. Dans chaque projet d’adoption, on doit considérer cette notion du « temps de l’enfant », et naviguer en permanence entre temps de réflexion et perte de temps. Si l’on arrive à garder à l’esprit que notre « temps d’adulte » est trop lent, alors on agira vraiment dans l’intérêt des enfants.

Il est possible de faire avancer en parallèle la démarche médicale, diagnostique et thérapeutique, et celle du projet d’adoption. En parallèle, cela signifie de façon indépendante, sans que l’une attende l’autre. De même que l’on n’attendra pas qu’un enfant ait des parents pour le soigner, on ne peut attendre que le projet de soins soit défini pour lui chercher une famille. Mais « de façon indépendante » ne veut pas dire sans connexion, car elles doivent se faire en permanence d’une équipe à l’autre, pour affiner le projet. À chaque étape du projet d’adoption, on intégrera le parcours de santé en l’état.

Reprenons l’exemple du nouveau-né atteint d’une malformation cardiaque : quand il devient juridiquement adoptable, vers l’âge de 3 mois, c’est le moment où il est censé atteindre la fameuse barre des cinq kilogrammes. Mais s’il est né en début d’automne, on se trouve alors à la période des bronchiolites et gastro-entérites. Banales en elles-mêmes, mais suffisamment contagieuses pour se propager d’un enfant à l’autre, surtout en collectivité et malgré les précautions prises. Voilà qui va retentir sur la prise de poids de notre petit cardiaque, et peut déclencher une série de surinfections qui peuvent faire pencher la balance vers une intervention chirurgicale plus rapide. Dès lors : nouveau bilan, opération, convalescence, bilan post-opératoire. Mais, si dans le même temps, indépendamment de la prise en charge médicale, on continue le processus d’adoption, on aboutira à l’apparentement par le Conseil de famille, et on fera entrer ces nouveaux parents dans le circuit du soin. Ils pourront l’accompagner dans le bilan pré-opératoire et être à ses côtés lors de l’hospitalisation. Car il existe des personnes prêtes à s’investir comme parents d’un enfant en cours de soins et même en cours de diagnostic. Ce ne seront sans doute pas les mêmes parents que ceux qui auraient été choisis quelques mois plus tard, après la période chirurgicale. Mais l’intérêt de l’enfant n’est-il pas de bénéficier d’une famille dès que possible, et de pouvoir s’appuyer sur celle-ci pour traverser ce parcours médical et chirurgical ?

Des parents prêts à « prendre le train en marche »

Ces parents-là, il en existe, il faut juste penser à les chercher, et leur tendre la main pour les aider à y monter. Cela nécessite aussi d’embarquer les professionnels de santé dans l’aventure de l’adoption, pour faire un programme sur-mesure à cet enfant et sa nouvelle famille. Pour l’avoir vécu pour des enfants venus de l’étranger, je sais que c’est possible. Il existe dans toutes les professions des personnes de grande qualité, qui mettront leurs compétences au service d’un enfant, d’une famille, pour que le soin et la création de lien parent-enfant se fasse dans les meilleures conditions possibles. On a l’habitude de dire que les parents adoptifs possèdent des trésors d’imagination, les professionnels qui gravitent autour des enfants aussi.

À lire

Cet ouvrage présente l’expertise et le vécu d’une vingtaine d’auteurs alternant théorie et pratiques de terrain. Chaque article est indépendant et pourra servir de référence à une réflexion entre professionnels. La mise à jour des douze fiches techniques, conçues pour être copiées et diffusées, présentes en fin d’ouvrage sera bientôt disponible gratuitement sur notre blog.