Santé et projet d’adoption d’un enfant grand
Dans un premier article, le Dr Odile Baubin, médecin pédiatre référent d’Enfants en recherche de famille, nous exposait la réflexion à mener dans la prise en compte des problèmes de santé dans le projet d’adoption d’un enfant jeune. Mais comment sont interrogés santé et projet d’adoption d’un enfant grand ? La santé de l’enfant grand peut aussi entrer en compte dans un projet d’adoption et la complémentarité des professionnels devrait pouvoir éclairer ces situations particulières.
Par le Dr Odile Baubin
Il est reconnu que le pronostic est plus facile à établir chez l’enfant déjà grand. En effet, les séquelles liées à la période périnatale se sont manifestées, ont pu être prises en charge, et l’incertitude de développement a quasiment disparu. Encore faut-il prendre la peine de se pencher sur l’histoire médicale de cet enfant qui peut sembler avoir traversé la petite enfance sans problème de santé.
Il n’a pas de problème de santé…
Il est fréquent, lorsqu’on construit un projet d’apparentement pour un enfant de plus de 5 ans, de s’entendre dire : Il n’a pas de problème de santé. Mais si on va au-delà de cette simple affirmation, si on prend la peine d’éplucher le carnet de santé, le dossier de suivi en PMI ou chez un médecin traitant, de récupérer les comptes rendus des différents bilans, on met au jour une chronologie médicale pas si dénuée de problèmes. Le profil des enfants arrivant tardivement à l’adoption, fait de ruptures à répétition, de troubles relationnels, s’accompagne souvent de retards de développement, de difficultés scolaires, avec leur lot de bilans psychomoteurs, orthophoniques, psychologiques qu’il faut parfois savoir lire entre les lignes.
Se pencher sur les raisons qui ont amené l’enfant à être pris en charge au titre de la protection de l’enfance
On ne voit souvent que leur parcours ASE et on oublie de se pencher sur les raisons qui les ont amenés à être pris en charge au titre de la protection de l’enfance. Ce sont souvent des enfants issus de grossesses peu investies, voire non désirées, mal suivies et il n’est pas rare qu’ils aient subi les conséquences d’une malnutrition in utero. La prise de médicaments ou de toxiques pendant ces grossesses est fréquente et, même si elles n’ont pas été diagnostiquées comme importantes au moment de la naissance, elles peuvent avoir marqué suffisamment ce bébé si peu attendu. De même, le contexte de violence ou de négligence qui a abouti au placement judiciaire, laisse, lui aussi, des cicatrices qui seront ravivées par le délaissement ultérieur. L’impact négatif de ces blessures affectives est maintenant bien connu et mieux pris en compte dans le suivi des enfants placés, mais on a encore tendance à en minimiser les dégâts sur un cerveau déjà fragilisé par une période périnatale chaotique (sans être pathologique). Quand on a la chance de naître avec un capital neurologique riche, les aléas des premiers mois peuvent léser quelques neurones sans mettre en péril le développement cérébral ultérieur. Mais quand on part avec un capital plus maigre, de mauvaise qualité, les conséquences seront plus visibles.
Kevin ou l’enfant oublié…
Kevin est né avec cinq semaines d’avance, rien de dramatique en termes de pronostic. Sa mère, qui l’a reconnu à la naissance, n’a plus donné signe de vie après son accouchement et Kevin est confié à une famille d’accueil. Sa mère reprend contact de temps en temps, notamment lors des audiences, exprime sa difficulté à investir son enfant, évoque la possibilité de consentir à l’admission de Kevin en tant que pupille de l’État, ne vient pas aux rendez-vous, puis disparaît de sa vie. Pendant ce temps, Kevin grandit dans sa famille d’accueil qui l’a bien investi. Il est suivi régulièrement en PMI du fait de sa prématurité et de son placement. Lorsque la démarche en vue d’une déclaration judiciaire de délaissement aboutit, il a 3 ans et demi. Lors du bilan d’adoptabilité, les professionnels sont alertés par la discordance du tableau présenté par Kevin : à côté des retards et comportements habituels rencontrés chez les enfants placés et en situation de délaissement, ils décèlent des difficultés d’un autre ordre qui pourraient signer une pathologie neurologique.
L’analyse de son dossier médical va permettre de préciser le diagnostic. Le suivi PMI s’est arrêté depuis près d’un an suite à l’annulation d’un rendez-vous que personne n’a pensé à renouveler. Les dernières consultations faisaient état d’un retard de développement, avec des difficultés marquées surtout au niveau de la motricité fine et un retard de langage important. Une prise en charge au CAMSP aurait dû être mise en place mais les consultations n’ont pas été programmées. L’entrée à l’école est difficile ; Kevin reste immature et présente des difficultés de séparation qui sont expliquées par son histoire. La famille d’accueil est très maternante, trop peut-être ? Kevin est bien intégré dans sa famille d’accueil qui s’investit sur le long terme mais cette dernière ne souhaite pas l’adopter et se trouve, par ailleurs, en difficulté pour l’accompagner vers une autre famille.
Le bilan est complété, la prise en charge s’enrichit de rééducations psychomotrices et orthophoniques. Une psychothérapie lui permet de travailler sur son histoire, sur la séparation d’avec cette « mère d’accueil » qui ne souhaite pas aller plus loin. Il est accueilli dans une petite structure avec des temps dans une famille d’accueil relais chez qui il avait déjà ses repères, une sorte de « grand-mère » d’accueil. Un dossier MDPH est validé et lui permet d’accéder à une scolarité adaptée pour l’entrée en primaire.
À 6 ans, Kevin est prêt : il a beaucoup progressé même s’il présente toujours des difficultés d’apprentissage. Le nouveau bilan d’adoptabilité le révèle en capacité de se projeter vers de nouveaux parents qu’il rejoindra pour son septième anniversaire.
La complémentarité entre le psychologique et le médical
Cette observation montre bien la complémentarité entre le psychologique et le médical, et les interférences inévitables qu’il faut savoir prendre en compte. Il a fallu l’acuité des psychologues chargés du bilan d’adoptabilité pour déceler une lacune dans le suivi médical. Il a fallu que les uns et les autres ne s’arrêtent pas au diagnostic de retard lié au délaissement pour permettre à Kevin de progresser. Sans cette collaboration à toutes les étapes, qui ont permis de lever l’un après l’autre les freins à l’adoption, Kevin n’avait pas d’alternative autre que de rester dans sa famille d’accueil probablement jusqu’à la majorité et sans filiation, ou d’aller vers une adoption pour laquelle il n’était pas prêt au risque d’un échec.
Il peut être difficile de voir l’enfant derrière sa maladie
Parfois, la pathologie est sur le devant de la scène, et il peut être difficile de voir l’enfant derrière sa maladie. C’est ce que raconte l’histoire d’Émile et ce que nous disent les psychologues qui l’ont accompagné dans cette aventure.
Émile
Émile est atteint d’une maladie métabolique qui impose un régime minutieux et un suivi médical régulier avec de nombreuses hospitalisations. Sa mère se retrouve seule pour l’élever, elle est vite débordée et lâche prise. La santé d’Émile se dégrade et il est placé dans un établissement de soins de longue durée. Il y est bien entouré – une équipe de soignants, une psychologue, une éducatrice – mais il vit 7 jours sur 7 à l’hôpital. Les relations avec sa mère sont quasi inexistantes et l’éducatrice est désemparée. Quel avenir pour ce petit garçon intelligent et attachant ? Elle saisit la cellule de veille de délaissement instaurée par le département [NDLR : avant la création de la CESSEC]. Des professionnels de toutes compétences et de tous univers vont réfléchir ensemble à une meilleure solution pour Émile. Une adoption est-elle envisageable compte tenu de sa pathologie ? Fort des avis qu’il a pu recueillir, le service ASE va accompagner la mère vers la signature d’un consentement à l’adoption. Puis, un travail de collaboration entre le service ASE, le service Adoption, les équipes soignantes et la psychologue de l’hôpital se met place pour préparer Émile à une adoption et trouver des parents susceptibles de l’accueillir.
Tout cela prend du temps, mais à 5 ans, Émile arrive dans sa nouvelle famille qui, comme il nous l’a recommandé, apprend à bien connaître sa maladie et à le prendre en charge.
L’histoire médicale apporte de précieuses informations
Lorsqu’un projet d’adoption est envisagé pour un enfant grand, même si les apparences vont dans le sens d’une « bonne santé », un bilan complet de santé devrait être systématiquement demandé. L’étude attentive de l’histoire médicale apporte de précieuses informations sur les fragilités propres à chaque enfant (otites, angines ou bronchites, tous les enfants n’ont pas le même parcours), sur l’évolution de son développement psychomoteur et affectif qui, là aussi, n’est pas univoque, ainsi que sur ses capacités de récupération qu’on pourrait nommer « résilience ». Cette photographie des fragilités et des ressources de l’enfant contribuera à affiner le profil de la famille qui pourra répondre au mieux à ses besoins.
À lire aussi sur blog
- Dr Odile Baubin, « Santé et projet d’adoption d’un jeune enfant » – publié prochainement
- Retrouvez prochainement Émile dans un double article des psychologues Florence Plainguet et Sandrine Menault, « Un projet d’adoption pour un enfant qui cumule pathologie et carence affective ».
À lire
- Bertrand Morin (dir.), Adoptabilités : la question du projet de l’enfant, EFA, 2017
Cet ouvrage présente l’expertise et le vécu d’une vingtaine d’auteurs alternant théorie et pratiques de terrain. Chaque article est indépendant et pourra servir de référence à une réflexion entre professionnels. La mise à jour des douze fiches techniques, conçues pour être copiées et diffusées, présentes en fin d’ouvrage sera bientôt disponible gratuitement sur notre blog.