Enfant grand pupille de l’État : enfant à besoins spécifiques ?
Ils ont plus de 5 ans quand ils accèdent au statut de pupille de l’État, et cela les classe d’emblée dans la catégorie « enfants à besoins spécifiques ». Voilà de quoi étonner plus d’un postulant. Or, dans les rapports, ces enfants sont le plus souvent décrits comme étant « en bonne santé », bien intégrés dans leur lieu de vie, sans problème majeur. Pourtant, lorsqu’on se penche sur leur histoire, sur ce qu’ils ont vécu au cours de leurs premières années, il y a de quoi déstabiliser les plus solides. Un coup d’œil dans le rétroviseur va nous permettre de nous en faire une meilleure idée.
Par le Docteur Odile Baubin, pédiatre référent du service Enfants en recherche de famille
Pupilles de l’État suite à une déclaration judiciaire de délaissement parental
La majorité d’entre eux acquièrent le statut de pupille de l’État à la suite d’une déclaration judiciaire de délaissement parental (déclaration judiciaire d’abandon jusqu’en 2016). Selon un rapport établi en 2018 sur les jugements en délaissement, l’âge moyen atteint par les enfants au moment de la décision judiciaire est d’environ 10 ans, alors que pour un quart d’entre eux, la rupture effective des relations avec leurs parents a eu lieu avant l’âge de 3 ans. On observe en moyenne un délai de trois ou quatre ans entre la fin des relations parents-enfant et le dépôt de la requête, la procédure prendra ensuite dix mois en moyenne.
Des années marquées du sceau de l’incertitude
Ses dernières années ont donc été marquées pour eux du sceau de l’incertitude : Est-ce que ma mère (mon père) prend de mes nouvelles ? Pourquoi ne vient-elle plus me voir ? ne me téléphone-t-elle plus ? Où est-elle ? Elle est peut-être malade, à l’hôpital ou en prison ? Je n’ai pas été très gentil avec elle la dernière fois qu’elle est venue, alors elle est fâchée et ne veut plus me voir ?
Et le travail d’équilibriste du référent va être de passer de l’entretien de ce lien si ténu « au cas où des retrouvailles seraient possibles » à l’explication de l’intérêt d’introduire une requête en délaissement qui lui ouvrira d’autres perspectives, elles aussi incertaines. Si pour l’enfant, c’est une période tourmentée – il faut accepter de lâcher ce que l’on connaît pour un ailleurs qu’on promet meilleur mais qui reste inconnu –, elle l’est aussi pour les adultes qui le prennent en charge quotidiennement. La famille d’accueil va devoir se positionner sur son souhait de l’adopter ou pas s’il devient juridiquement adoptable ; quelle que soit sa décision, elle engendrera des modifications majeures dans les rapports humains au sein de la famille, sans compter que se porter candidat à l’adoption ne signifie pas automatiquement être retenu par le Conseil de famille. Il s’agit là d’une période très inconfortable pour tout le monde, qui va renforcer le sentiment d’insécurité des enfants qui se trouvent au cœur de l’enjeu.
Quand les enfants entrent dans le dispositif de protection de l’enfance
Revenons donc un peu plus loin en arrière, au moment où ces enfants sont entrés dans le dispositif de « protection de l’enfance ». Faisant suite à une information préoccupante, au terme d’une évaluation et/ou d’un accompagnement éducatif à la demande de la famille, un signalement d’enfant en danger est adressé au juge des enfants, qui prend une mesure de placement. Dans les situations de danger immédiat et de maltraitance grave, cette procédure peut aller très vite et se faire dans l’urgence ; on imagine alors assez bien le traumatisme pour l’enfant qui vit une agression dans sa chair et se voit, dans le même temps, brutalement séparé de ses parents, ceux qui s’occupaient de lui jusqu’à présent, qui constituaient son unique référence. Lorsqu’il s’agit plutôt de négligences, de maltraitance psychologique, le processus est plus long, parce qu’elles sont plus difficiles à démontrer et pas forcément « intentionnelles » de la part de parents, eux-mêmes démunis, que l’on essaye d’aider et d’accompagner dans un premier temps.
Une succession d’expériences difficiles
L’enfant va alors vivre une succession d’expériences difficiles et l’on sait désormais comment ces traumatismes à répétition viennent perturber la construction du cerveau encore très immature. Toutes les expériences, heureuses ou malheureuses, sont inscrites dans l’organisation des circuits neuronaux et les plus fréquentes sont celles que l’enfant retiendra. Il serait donc souhaitable que cette période de « douche écossaise », où alternent les bons et les mauvais moments, dure le moins longtemps possible. Tout le monde s’accorde sur ce point, mais le temps de l’institution n’est pas le temps de l’enfant, et ce, d’autant plus que l’enfant est jeune. C’est en s’appuyant sur ce principe que la loi de mars 2016 a créé les commissions d’évaluation de la situation et du statut de l’enfant confié (Cessec) et recommandé l’étude annuelle – bisannuelle pour les plus jeunes – des dossiers des enfants placés.
L’idéal est rarement réalisable !
Le placement, qu’il se fasse dans l’urgence ou qu’il puisse être préparé avec l’enfant et sa famille, devrait idéalement se faire au plus près de ses besoins. Mais l’idéal est rarement réalisable ! Il faut tenir compte des places disponibles, de la nécessité de maintenir l’enfant dans son environnement géographique habituel ou, au contraire, de l’éloigner d’un milieu social toxique, des réticences des parents face à tel ou tel type de lieu de vie ; évaluer les possibilités d’intégration parmi d’autres enfants déjà placés, et lorsqu’il s’agit de fratries, se poser la question d’un accueil de la fratrie entière ou séparée. Bref, le lieu de placement adapté est rarement trouvé du premier coup, et il n’est pas rare que ces enfants cumulent un nombre important de changements. Changement de lieu de vie, d’école, de copains, d’environnement mais aussi changement de référents, d’équipe de suivi, d’adultes « donneurs de soin », sans compter les juges pour enfants en charge de leur dossier dont la durée de poste excède rarement trois ou quatre ans. Ces multiples séparations, outre le fait qu’elles ne simplifient pas la connaissance du dossier, sont autant de réactivations de la douleur de séparation qu’ils viennent de vivre avec leurs parents. Et quand ces séparations répétées aboutissent à une situation de délaissement, ces enfants pupilles portent un lourd bagage de traumatismes et de situations abandonniques dont on connaît les conséquences sur le développement psychomoteur et affectif.
Des indices de fragilité
Faisons un pas de plus en arrière : la naissance de cet enfant dans sa famille et ses premières années de vie commune. Bien que la maltraitance se rencontre dans tous les milieux sociaux, ce type de situation, lorsqu’il aboutit à un jugement de délaissement parental, est plus souvent le fait de familles de milieu socioculturel précaire. On y retrouve tous les indices de fragilité, qui en font des familles qui devraient bénéficier d’un accompagnement à la parentalité plus soutenu ; malheureusement, ce sont aussi souvent des familles marquées par leur propre passé et qui acceptent mal le soutien des services sociaux, voire le fuient.
Dès la grossesse
Dès la grossesse, pas toujours attendue, on repère des facteurs de risque soit pour la santé de la mère et de l’enfant (carences nutritionnelles, fatigue excessive au travail, prise de toxiques, suivi irrégulier), soit pour la relation entre la mère et son bébé (difficultés de couple, rejet familial, grossesse non désirée ou mal vécue). Toutes ces situations délicates n’aboutissent pas, heureusement, au placement des enfants et à leur délaissement, mais sont fréquentes dans l’histoire de vie des pupilles dont nous parlons.
La période périnatale et les premières années
L’observation fine de cette période périnatale et des premières années de vie met souvent en évidence des petits poids de naissance (RCIU : retard de croissance intra-utérin)2, des difficultés d’alimentation, de légères prématurités, de petits troubles d’adaptation respiratoire ou neurologique. Chacun de ces signes n’est pas prédictif, en soi, de difficultés ; mais leur accumulation et le fait que les désordres mineurs qu’ils dénotent ne seront pas accompagnés dans une relation parentale attentive et de qualité vont accroître leur impact sur le développement ultérieur de l’enfant. D’autant plus que se rajoute l’absence de réponse « immédiate, fiable et adaptée » à l’expression de ses besoins primaires, base du sentiment de sécurité sur lequel se fonde un attachement sécure. Le temps où on laissait pleurer les bébés « pour qu’ils se fassent les poumons », où on les nourrissait à heures fixes sans tenir compte de leur faim est aujourd’hui dépassé et les neurosciences nous ont démontré comment ces expériences désagréables, voire douloureuses, venaient s’inscrire dans le cerveau en construction.
Des étapes potentiellement génératrices de séquelles développementales
D’autres enfants vivent l’une ou l’autre de ces étapes potentiellement génératrices de séquelles développementales, et ce sont le cumul d’épreuves négatives et le déficit d’accompagnement chaleureux qui caractérisent l’histoire de ces enfants qui arrivent grands au statut de pupille. Nouveau-né fragilisé, nourrisson insécure, enfant négligé ou maltraité, puis délaissé, il va vivre des traumatismes de séparations répétées jusqu’à une situation qui équivaut pour lui à un abandon, qu’il traverse dans un climat d’insécurité qui ne l’aide pas à se projeter vers une nouvelle vie. Tout est réuni pour générer des retards de développement, des difficultés d’apprentissage, des troubles du comportement, qui demanderont des capacités parentales spécifiques pour accompagner l’ancrage dans une nouvelle famille. Et c’est en cela qu’ils sont considérés comme des « enfants à besoins spécifiques ».
Certes, selon leur sensibilité, leur capacité de résilience, la plupart rattraperont leur retard, arriveront à se poser, trouveront leur voie au terme d’une scolarité parfois chaotique. Il leur faudra cependant du temps pour y arriver, alors qu’on attend plus souvent d’eux un « rattrapage express ». Sans compter que les traumatismes vécus dans leur petite enfance peuvent avoir endommagé leur cerveau plus qu’on ne l’imagine, laissant des séquelles qui se manifesteront sur le plan cognitif (léger déficit intellectuel ou troubles DYS) ou comportemental, ou encore peuvent faire le lit de troubles psychologiques ou même psychiatriques à l’adolescence.
Or, dans ces adoptions tardives, l’adolescence arrive vite et les parents se trouvent face à un défi paradoxal : lui laisser du temps et être prêt à entrer dans l’adolescence ! Rien que pour cette parentalité adoptive en accéléré, cela vaut bien une attention spécifique !
À lire prochainement sur ce blog
- Dr Odile Baubin, Retards de croissance dans l’adoption
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- Léa devient pupille de l’État, Enfance & Famille d’Adoption, 2022
Chaque année, plus de 500 enfants deviennent tardivement pupilles de l’État. EFA a conçu un livret illustré, Léa devient pupille de l’État, pour leur permettre d’y voir plus clair sur leur nouveau statut, pour répondre aux multiples questions qu’ils se posent : Qu’est-ce qui va se passer pour moi ? Qui va s’occuper de moi ? Où je vais vivre ? À qui est-ce que je peux poser toutes ces questions ?