Le devenir des enfants placés : la recherche Saint-Exupéry
Une recherche menée de 2011 à 20141 décrit le devenir des enfants placés, avant l’âge de 4 ans, dans un établissement de l’Aide sociale à l’enfance. Les constats sur leur évolution à long terme montrent, pour une partie importante de ceux-ci, une vulnérabilité personnelle et sociale très forte.
Par Geneviève Miral
Une étude sur le devenir des enfants placés
L’objectif de la recherche Saint-Exupéry
L’objectif de cette recherche est de décrire l’évolution sur 20 ans d’une population d’enfants admis avant l’âge de 4 ans, entre 1994 et 2001, à la pouponnière du foyer de l’enfance de Maine-et-Loire (foyer Saint-Exupéry). Elle concerne une cohorte de 129 enfants dont les biographies ont été reconstituées depuis leur naissance jusqu’à leur majorité, à partir des données sociales, éducatives, administratives, économiques, médicales, judiciaires, scolaires et psychologiques de chacun d’eux.
Des éléments sur la situation des enfants et sur leur évolution
Relevant le manque d’études françaises sur l’évaluation de la prise en charge à long terme de jeunes enfants placés, les auteurs remarquent que ce manque n’empêche cependant pas le débat entre les tenants d’un placement le plus précoce possible des bébés et enfants qui risquent d’être maltraités, et ceux qui prônent un maintien à domicile en vue d’éviter les effets néfastes de l’institutionnalisation et la répétition des ruptures et des vécus d’abandon. Aussi, cette étude longitudinale apporte des éléments intéressants – à défaut d’être rassurants – sur la situation des enfants au moment de leur placement et sur leur évolution.
Un état physique et psychique alarmant au moment du placement
Lors de leur placement, les enfants sont arrivés très souvent dans un état physique et psychique alarmant.
Déni de grossesse et prématurité
Le taux de déni de grossesse de leurs mères (8,5 %) est 2,3 fois supérieur à celui de la population générale et le taux de prématurité (16 %) est 2,5 fois supérieur à celui de la population générale.
Maltraitance lourde et carences multiples
- Les cas de maltraitance lourde sont nombreux : 64 enfants (50 % de la cohorte) avaient été exposés à des violences psychologiques, 47 (36 %) à la violence conjugale, 14 à des négligences lourdes (dont plusieurs auraient pu entraîner la mort de l’enfant) et 3 à des violences sexuelles.
- Près de la moitié des enfants présentaient des carences multiples ou un retard de croissance. Seulement la moitié d’entre eux a récupéré ce retard après le placement, dans un délai moyen de deux ans et demi.
Du côté des parents : des pathologies psychiatriques et de relations pathologiques
- 68 enfants avaient un ou deux parents présentant une pathologie psychiatrique, et 16 enfants ont été placés suite à la mise en examen ou à l’incarcération des parents.
- Dans 82 % des cas, on a pu noter que les relations des parents avec leur enfant pouvaient être considérées comme pathologiques et dans 17 % des cas, l’enfant se trouvait en difficulté ou en souffrance dans ces relations. Ces résultats montrent l’importance de prendre en compte les interactions précoces entre l’enfant et ses parents et d’en évaluer les dysfonctionnements.
Troubles psychiatriques, handicap, scolarité et poursuites judiciaires…
Un diagnostic psychiatrique pour 99 enfants
Les trois quarts des enfants ont bénéficié de soins pédopsychiatriques. En fin de parcours, un diagnostic psychiatrique a été posé pour 99 enfants (77 % contre 12,5 % de la population générale).
27 enfants ont été dirigés vers une prise en charge en établissement médico-social d’éducation spéciale (20,9 %, 0,67 % en population générale). Données à rapprocher des résultats d’une étude de 2012 du Centre régional d’études, d’actions et d’informations Rhône-Alpes (CREAI) concernant les jeunes en situation sociale difficile : 21 % des jeunes en famille d’accueil et 26 % des jeunes en établissement à caractère social ont un dossier MDPH, et 17 % ont bénéficié d’une prise en charge en établissement médico-social d’éducation spéciale.
L’impact de la maltraitance et des situations sociales sur le développement précoce du handicap
En raison de difficultés lourdes liées à leur pathologie psychiatrique ou à leurs troubles du comportement, 21 enfants ont bénéficié, pendant deux ans et demi en moyenne et le plus souvent à l’adolescence, de « mesures complexes partagées », associant mesure de protection de l’enfance, prise en charge en pédopsychiatrie et scolarisation spécialisée. Les auteurs rapprochent ces résultats de ceux de l’étude du CREAI Rhône-Alpes sur les enfants accueillis en établissement médico-social d’éducation spéciale dans la Loire : 41 enfants admis sur 145 y relevaient de mesures complexes partagées. Ils pointent ainsi un « angle mort » des politiques publiques qui semblent méconnaître l’impact de la maltraitance et des situations sociales difficiles sur le développement précoce du handicap.
Une faible efficience scolaire et des poursuites judiciaires
Par ailleurs, on constate une faible efficience scolaire : 36 enfants ont été déscolarisés à un moment de leur parcours, 15 % ont obtenu le brevet des collèges (85 % dans la population générale), 24 suivent une filière professionnelle (bac pro ou CAP), 4 une filière générale et 3 ont obtenu leur bac.
Enfin, en fin de parcours, 28 des 129 enfants de la cohorte ont comparu au pénal ; 26 ont été sanctionnés dont 7 (âgés de 17 à 22 ans) ont été condamnés à une contrainte par corps : prison, établissement pénitentiaire pour enfant ou centre éducatif fermé.
Trois facteurs négatifs du devenir des enfants placés
Si tous grandissent et progressent pendant le placement, on constate un devenir contrasté chez ces enfants. L’étude fait apparaître deux facteurs négatifs de leur devenir, repérables au moment de leur placement :
- la gravité du danger auquel l’enfant est exposé (détérioration des liens parents-enfants) ;
- et la durée de l’exposition au danger (délai entre le signalement et le placement).
Elle permet d’identifier un troisième facteur, durant le parcours des enfants, les échecs de restitution à leur famille. Sur 71 tentatives de restitution, 47 sont considérées comme des échecs, l’enfant n’étant pas resté durablement dans sa famille et ayant fait l’objet d’un nouveau placement. Les auteurs de l’étude recommandent que cette question, peu étudiée en protection de l’enfance, fasse l’objet d’investigations complémentaires.
1 La recherche Saint-Exupéry (2011-2014) : enquête sur le devenir des enfants admis avant l’âge de quatre ans à la pouponnière du Village Saint-Exupéry, foyer départemental de l’enfance du Maine-et-Loire. Menée par l’équipe de l’Institut de recherche technologique de Saint-Exupéry.