Enfant né de mère toxicomane
Être un enfant né de mère toxicomane, qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Quels sont les effets de la prise de toxiques sur les fœtus durant la grossesse ? Comment accompagner les nourrissons à la naissance ?
Le Dr Odile Baubin, pédiatre référent du service Enfants en recherche de famille, nous en présente les aspects essentiels et incite les parents adoptifs à apprendre à détecter certains signes qui peuvent se manifester bien après le cap du sevrage.
Dr Odile Baubin, pédiatre
Des mères la plupart du temps poly-consommatrices
Lorsqu’on évoque le terme d’enfant né de mère toxicomane, il est habituel de ne pas se cantonner aux seuls effets de la drogue mais de les élargir à toutes les substances psychoactives. Que la mère ait consommé pendant sa grossesse de la cocaïne, du cannabis, des antalgiques morphiniques ou des antidépresseurs, et même de l’alcool ou du tabac, on peut observer chez son enfant à la naissance des signes assez semblables ; et ce, d’autant plus qu’il s’agit la plupart du temps de femmes poly-consommatrices.
Ces substances ont en commun d’une part leur toxicité propre au moment même de la prise et d’autre part la capacité à induire une dépendance chez le consommateur régulier. Les dégâts provoqués par la toxicité du produit lui-même sont propres à chaque molécule, alors que les conséquences de la dépendance sont assez semblables d’un produit à l’autre.
Le fœtus ressent les mêmes effets que sa mère
Au moment d’une prise, le fœtus ressent les mêmes effets que sa mère. Si l’on ne peut savoir si les troubles de la conscience, tels que euphorie et hallucination, sont perçus in utero, les phénomènes physiques sont bien réels : troubles du rythme cardiaque, vasoconstriction sanguine qui diminue l’apport de sang aux organes et au cerveau, excitation, augmentation du métabolisme avec sensation de faim et risque de déshydratation.
À ces effets qui peuvent engendrer des troubles de la croissance intra-utérine, s’ajoute la toxicité particulière de l’alcool qui détruit les cellules, réalisant un ensemble de pathologies rassemblées dans le SAF (syndrome d’alcoolisation fœtale) déjà été abordé dans d’autres articles.
Polyconsommation, précarité, déni…
Il est assez habituel d’observer un petit poids de naissance chez ces nouveau-nés et une observation fine permettra, en dehors de ce petit poids somme toute assez banal, de détecter les signes qui évoqueraient un diagnostic d’enfant né de mère toxicomane. Outre la polyconsommation qui associerait médicaments et autres substances toxiques, les mères sont souvent en grande précarité, ne bénéficient pas d’une alimentation équilibrée et représentent une population à risque de contamination par les virus VIH et des hépatites. S’agissant de grossesses mal suivies, voire déniées, un accouchement prématuré est fréquent, mettant l’accent sur d’autres risques en période néonatale. Les conséquences de ces problèmes de santé sur l’état de l’enfant à la naissance peuvent ainsi prendre le devant de la scène et la notion de prise de toxiques et ses effets sur le nouveau-né être relégués au second plan.
Le fœtus vit au rythme des prises de toxiques et des manques de la mère
Le risque majeur de la consommation de substances psychoactives réside dans l’addiction au produit et l’installation d’une dépendance ; ce n’est qu’à ce stade que l’on parle de toxicomanie. Durant la grossesse, le fœtus va donc vivre au rythme des prises de toxiques et des phases de manque de sa mère : c’est ce manque qui laissera le plus de traces chez le nourrisson.
L’état de manque, chez l’adulte ou l’adolescent, est caractérisé par :
- un mal-être profond, une douleur interne intense mal identifiée,
- des signes neurologiques : tremblements, grande agitation, irritabilité, crises d’angoisse, hallucinations,
- des signes physiques avec nausées, douleurs abdominales, sueurs, courbatures.
Cette profonde douleur va s’imprimer dans la mémoire émotionnelle du fœtus et fera le lit de manifestations qui peuvent paraître incongrues dans sa vie néonatale et même plus tard.
Les divers signes du sevrage après la naissance
Le moment même de la naissance, qui nécessite comme pour tout un chacun une adaptation à la vie extra-utérine délicate, est aussi celui de la rupture avec l’addiction. Privé de l’apport du toxique dans lequel il a baigné pendant plusieurs mois, le nouveau-né présente des signes de sevrage brutal qui ne peuvent pas toujours être anticipés, notamment lorsque l’addiction n’est pas connue.
Néanmoins, parmi les signes de sevrage néonatal, on retrouve (comme dans d’autres tableaux) :
- une hyperexcitabilité banale chez le prématuré de petit poids,
- des troubles digestifs et respiratoires, eux aussi classiques
Associés à un petit poids de naissance et au contexte de vie de la mère, ils doivent cependant permettre d’orienter le diagnostic.
D’autres signes plus subtils sont souvent observés par les auxiliaires qui s’en occupent au quotidien. Ceux sont des bébés irritables, inconsolables, qui semblent souffrir alors qu’on ne trouve aucune raison organique à cette souffrance. Ils ont du mal à s’apaiser dans les bras, se raidissent quand on les porte. Alors qu’ils manifestent le besoin d’être contenus, bercés, ils supportent mal le contact physique, manifestant une sorte d’hypersensibilité cutanée. Ils ne peuvent s’apaiser qu’avec une approche douce et lente, respectant leur rythme d’acceptation de l’autre, particularité qui les accompagne longtemps dans leur petite enfance.
L’expression des conséquences de la prise de toxiques
L’expression des conséquences de la prise de toxiques pendant la grossesse peut prendre des formes qui varieront en fonction de nombreux paramètres (nature du produit, mode d’administration, quantité, nombre et durée des prises, période de la grossesse), mais aussi de l’état de santé de la mère, de ses conditions de vie et de son état psychique.
On retrouve cependant chez ces enfants des caractéristiques communes comme cette hypersensibilité à toute stimulation. Ce sont des nourrissons qui réagissent mal au bruit, à la lumière vive, au contact ferme. Ils ont besoin d’être accompagnés pour apprivoiser leurs sens et en tirer des expériences agréables.
Apprivoiser les sens de ces enfants
S’approcher doucement d’eux, ne pas les prendre par surprise mais accompagner les caresses par la parole tout en restant dans leur champ visuel, leur permet de prendre confiance dans leurs sensations, de les apprécier et d’en profiter pleinement. Car ils ont besoin de se réapproprier ce contact physique qui peut les faire souffrir dans un premier temps mais les apaise ensuite.
Pour les enfants qui seront confiés en adoption, le souvenir inconscient de cette phase douloureuse de sevrage restera associé au moment de la séparation définitive d’avec leur mère de naissance et toutes les situations qui viendront toucher cette angoisse d’abandon peuvent raviver le souvenir de ce mal-être profond. Les deux seront liés dans leur mémoire émotionnelle, ce qui peut expliquer des comportements ultérieurs qui ne sont pas sans rappeler cette période hypersensible des premiers mois.
Des précautions particulières dans les premiers mois
Pour conclure, si les conséquences immédiates de la prise de toxiques pendant la grossesse sont bien connues et prises en charge dans les maternités françaises, des précautions particulières seront nécessaires dans les premiers mois et lors de la mise en relation avec les futurs parents qu’il faudra guider. La compréhension du ressenti de leur enfant les aidera dans ces premiers moments mais aussi tout au long de leur histoire familiale lorsque des réactions inhabituelles viendront les dérouter, exprimant comme un relent de ce passé douloureux.
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Le syndrome de sevrage néonatal, Dre Wissal Ben Jmaa, néonatalogiste et chercheuse au CHU de Montréal (Québec)