Quelles compétences parentales au quotidien ?Accueillir un enfant à particularités

Sandrine Dekens, coordinatrice du service Enfants en recherche de famille, revient sur les compétences parentales particulièrement mobilisées dans la pratique de la parentalité adoptive d’un enfant à particularités.

28 mai 2024 par Sandrine Dekens

Bien souvent, les parents me font remarquer que ces compétences parentales sont à l’œuvre dans toutes les formes de parentalité et il est d’ailleurs possible de généraliser ces capacités à toutes les formes de relations humaines dans lesquelles l’altérité occupe une place importante. Si ces remarques sont exactes, la parentalité adoptive d’un enfant à particularités met pourtant en lumière une constellation tout à fait particulière, dans laquelle l’enfant est fragilisé psychologiquement et physiquement, et donc moins apte que les autres à puiser dans ses ressources propres et à négocier avec lui-même. Face à un enfant en difficulté, les parents adoptants développent certaines qualités et capacités : en voici quelques-unes.

Rester souple

Être parent, c’est à la fois rêver pour son enfant, formuler des attentes à son égard pour lui donner l’envie d’avancer, mais c’est également être capable de renoncer à ses propres attentes pour s’ajuster à la réalité des désirs et capacités de son enfant réel. C’est ce que l’on appelle la « souplesse psychique » et cela requiert de pouvoir négocier avec soi-même pour s’adapter au réel. Ce bon ajustement aux capacités et aux limites de l’enfant permettra à ce dernier de mieux supporter et dépasser sa propre frustration lorsqu’il se sentira en échec.

Être patient

L’impatience, l’impériosité du désir, l’intolérance à la frustration sont des dispositions psychologiques bien repérables lors de la période antérieure à l’adoption. Elles augurent mal de la capacité à aimer un enfant qui ne pourra pas toujours répondre aux désirs parentaux, parce qu’il est handicapé ou en difficulté psychologique.

À l’arrivée de l’enfant, la tentation est grande de vouloir « rattraper le temps perdu », par exemple en le mobilisant fortement pour qu’il acquière la propreté, la marche, ou en le scolarisant rapidement. Cette importante stimulation du développement, conjointe à des enjeux affectifs importants, peut susciter chez l’enfant une hyper-adaptation spectaculaire qui force l’admiration de tous mais qui l’épuise psychiquement. Les parents doivent donc être capables de donner du temps à l’enfant et de respecter son rythme voire de le ralentir. Prendre le temps de se rencontrer, étape par étape, d’abord en se regardant de loin puis en se rapprochant, permet de faire mutuellement connaissance en douceur et de donner une place à l’altérité, afin d’éviter le phénomène de « burn-out » des enfants adoptés parvenus à l’adolescence.

Accompagner la différence

Qu’on le veuille ou non, l’enfant adopté se sent différent des autres, et les situations de la vie quotidienne ne manquent jamais de le lui rappeler. Lorsque l’enfant est marqué par une particularité physique (couleur, maladie) ou psychologique (difficultés scolaires, de langage, etc.), ce vécu de différence se trouve exacerbé. Les parents sont donc en première ligne pour accompagner l’enfant avec ce sentiment de différence. D’une part, ils devront le protéger, c’est-à-dire ne pas le surexposer à un tel vécu : par exemple, le racisme vécu au quotidien dans l’environnement direct de l’enfant est très persécutant et il appartient aux parents de l’éviter autant que possible. Mais il n’est ni faisable ni souhaitable de lui épargner tout choc avec la réalité. La réaction en situation des parents, leur capacité à ne pas nier les différences, à les assumer pour eux-mêmes et pour leur enfant, est une qualité majeure et un déterminant central de l’épanouissement de l’enfant. L’humour, la distanciation, l’estime de soi, l’acceptation de sa différence sont des armes efficaces auxquelles accède l’enfant à travers l’expérience de ses parents.

Ne pas faire comme si

Il est donc important que les parents soient capables de « ne pas faire comme si » il n’y avait pas de différence entre famille ayant adopté et famille biologique, « comme si » la page du passé était tournée, « comme si » on recommençait tout à zéro, « comme si » l’enfant n’était pas handicapé, etc. Ceci ne signifie pas pour autant qu’ils devraient exalter les différences et les rappeler sans cesse, mais tout simplement être capables de ne pas les dénier et de s’y adapter.

Des compétences parentales qui se développent au fil du temps

Devant cette liste un peu impressionnante ressemblant à une quadrature du cercle, il ne faut pas se décourager : ces compétences parentales ne sont pas mobilisées simultanément mais au fil du temps. De plus, personne ne doit considérer ces compétences comme acquises, elles sont sans cesse remises en cause au fil de la vie quotidienne avec l’enfant pour tous les parents, quels qu’ils soient ! Il n’est facile pour personne de garder la bonne distance lorsque l’engagement affectif est si fort. Pour cette raison, il est particulièrement souhaitable d’être accompagné dans cette forme de parentalité qui nécessite de mener un profond travail sur soi (réseaux d’entraide, groupes de parole, accompagnement associatif, psychothérapie, école des parents, etc.).

L’expérience acquise à ERF de l’accompagnement des parents

Les pièges de l’exercice auquel je me livre dans cet article sont connus des psychologues et en découragent plus d’un. Le risque serait de « donner des leçons de parentalité », de laisser penser qu’il y aurait dans ce domaine des « bonnes pratiques » ou des recettes, de dresser un tableau trop idéalisé de « super-parents » qui n’existent pas… Autant d’arguments fondés qui continuent de m’interroger. Pour autant, il ne s’agit pas de livrer ici un manuel de recettes mais de nourrir une réflexion en mouvement, dont l’objectif est avant tout de partager l’expérience acquise à ERF de l’accompagnement des parents.