La santé des enfants confiés à l’Ase

Les enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (Ase) souffrent de nombreux traumatismes, qu’ils soient d’ordre psychologique ou physique. Les progrès de la technologie permettent aujourd’hui de mieux les appréhender.

À l’inverse, les dossiers médicaux lacunaires et dispersés rendent difficile la prise en charge qui devrait s’imposer pour ces enfants.

Un état des lieux éloquent sur la santé des enfants confiés à l’Ase nous est proposé par le docteur André, médecin de PMI.

La santé des enfants confiés à l'Ase

par le Dr Marie-Christine André, médecin de PMI

Des disparités départementales

Une situation propice à différents troubles

L’adoption des enfants confiés se développe peu à peu en France, de façon inégale suivant les départements : certains services de l’Ase mettent en route une procédure de délaissement parental lorsque c’est le cas, afin de redonner une chance à l’enfant. Malheureusement, dans d’autres départements, certains enfants sont déjà grands lors de la mise en route de cette procédure et cette situation est propice à un sentiment d’insécurité pour leur avenir, une baisse de l’estime de soi et parfois des troubles de l’attachement sévères avec des troubles du comportement conséquents.

Le suivi de la santé des enfants confiés à l’Ase

Par ailleurs, le suivi de la santé des enfants confiés à l’Ase a été introduit dans la loi de 2016 relative à la protection de l’enfant, mais cette loi est appliquée très diversement suivant les territoires : parfois pas du tout ou partiellement ; quelques départements ont attribué du temps de médecin de PMI à cette mission. Face à la pénurie de médecins, il est à craindre que cette fonction ne se développe pas plus dans un proche avenir.

Traumatismes et négligences : des effets sur le cerveau

Ces enfants ont vécu un temps plus ou moins long dans une famille très négligente, voire maltraitante, et/ou ont connu un climat de violence dans leur famille : on connaît maintenant l’influence d’un milieu difficile sur le cerveau de l’enfant, y compris in utero. Les neurosciences, avec l’apport de l’IRM, permettent actuellement de mieux comprendre ce qu’induisent dans le cerveau les traumatismes violents ou répétés, de façon transitoire ou continue, qu’ils soient physiques ou psychologiques, ainsi que les négligences graves : les structures cérébrales qui traitent un événement peuvent, lorsqu’elles ne sont plus modulées, provoquer des lésions parfois visibles en IRM.

Trois zones essentielles

Pour simplifier, on repère trois zones essentielles : l’amygdale, l’hippocampe et le cortex préfrontal.

L’amydale

L’amygdale est une toute petite structure très profonde dans le lobe temporal. Elle entraîne une réaction immédiate, instinctive, devant un stimulus qui semble menaçant (fuir devant le mammouth !). Elle déclenche le circuit du stress en activant la sécrétion d’adrénaline puis de cortisol (dilatation des pupilles pour mieux recevoir le stimulus visuel, accélération du rythme cardiaque et de la pression artérielle, accélération de la ventilation, pour pouvoir courir…).

L’hippocampe

L’hippocampe est aussi une petite structure très profonde du lobe temporal. Il serait en quelque sorte le siège des souvenirs et aurait un rôle de récupération de la trace mémorielle dans le cortex (Est-ce un mammouth ? Est-ce dangereux ?). Cela suppose que le sujet ait mémorisé des événements semblables qui se sont bien ou mal terminés, ce qui lui permet de savoir comment réagir. L’hippocampe est équipé de nombreux récepteurs au cortisol.

Le cortex préfrontal

Le cortex préfrontal correspond à la surface du cerveau qui se situe le plus en avant (zone qui s’est le plus développée depuis les primates). Ce centre de la régulation des pensées, des émotions, des actions permet de moduler la réaction instinctive en fonction de l’environnement et la maîtrise des impulsions (Je connais cette personne, ce n’est pas un ennemi, c’est quelqu’un de protecteur, et même si j’ai été surpris, je n’ai plus besoin d’avoir peur ; je maîtrise mes pulsions sexuelles parce que j’ai appris le respect de l’autre…). C’est aussi le centre des fonctions exécutives (planification des actions, organisation des mouvements complexes). Cette zone se développe par l’apprentissage, au cours de l’enfance.

Le petit humain est entièrement dépendant

Le cerveau de l’enfant se développe grâce aux interactions sociales

La survie et le développement du petit humain dépendent entièrement de la présence d’un adulte qui prendra soin de lui avec amour. Il ne suffit pas de faire naître un enfant, il faut aussi le mettre au monde, dit Boris Cyrulnik.

Le cerveau de l’enfant se développe grâce aux interactions sociales, en activant les « neurones miroirs » qui permettent de reconnaître les expressions faciales et les émotions de l’autre.

Le rôle des « neurones miroirs »

Ces neurones ne s’activent qu’en face d’un être d’une même espèce. Ils « allument » aussi (c’est visible à l’IRM) les zones de la mémoire, reliant ainsi les expressions du visage à nos souvenirs et nos apprentissages antérieurs, et donnant un sens à la situation. C’est pourquoi le tout-petit ne peut pas mettre en contexte ce qu’il perçoit. Maurice Berger dit que l’enfant vit la terreur qu’il voit sur le visage de sa mère. Catherine Jousselme parle d’une explosion émotionnelle, Boris Cyrulnik d’un effroi majeur.

La situation de 2 fillettes confiées à l’Ase

Il y a quelques années, j’ai examiné deux fillettes confiées à l’Ase, nées d’un très jeune couple, avec un père très souvent alcoolisé. L’aînée était déjà placée lorsque la deuxième a été confiée en urgence suite à un appel de la maman aux forces de l’ordre : le père suspendait le bébé de 6 mois par la fenêtre du cinquième étage pour obtenir de la mère ce qu’il voulait.

L’arrêt brutal du développement psychomoteur

L’enfant a stoppé brutalement son développement psychomoteur et ne l’a pas repris même après le placement. Elle ne fixait plus le regard, tournait sa tête vers la lumière de la fenêtre en geignant, ne réagissait à aucune de mes stimulations douces, à aucune voix. Elle n’a jamais dépassé le stade du biberon, sans possibilité d’introduire quoi que ce soit d’autre dans l’alimentation. Elle n’a jamais acquis la station assise, aucun tonus ne lui permettant la verticalisation et donc la marche. Sa croissance staturo-pondérale a ralenti, à 2 ans, elle avait les mensurations d’une enfant de 10 à 12 mois, sans que l’endocrinologue pédiatre du CHU ne trouve d’explication (caryotype normal, secrétions endocriniennes normales).

Des lésions irréversibles

Cette enfant a été finalement admise dans un IME avant l’âge requis grâce à une dérogation. Les psychiatres expliquent cet arrêt de développement par des lésions cérébrales irréversibles qui se sont produites quand l’enfant a vu la terreur sur le visage de sa mère, lorsque son père la suspendait au-dessus du vide, parce que, bien sûr, à quelques mois, elle-même n’avait pas conscience du danger. Elle a inondé son cerveau de cortisol, qui a « grillé » des structures cérébrales, comme on grillerait un fusible. Des études ont montré, chez des femmes enceintes ayant vécu en zone de guerre, que le liquide amniotique est inondé du cortisol produit par leur stress, provoquant des lésions chez le fœtus.

Les mille premiers jours : une phase ultrasensible

Le développement du cerveau de l’enfant

Fort heureusement, les situations ne sont pas toujours aussi caricaturales. Mais le niveau de définition actuel de l’IRM est de l’ordre du mm3 et ne permet pas toujours de constater des lésions et encore moins de déterminer le devenir de l’enfant. Un cerveau adulte est composé d’environ 100 milliards de neurones et 1 cm3 de cerveau comprend environ 10 000 milliards de synapses (connexions entre les neurones). Dans les premiers mois de sa vie, le bébé construit 200 000 synapses par minute ! La tête de l’enfant grossit jusque vers l’âge de 2 ans sous l’effet de la poussée du cerveau. C’est pourquoi cette période de la vie est une phase « ultrasensible ».

Quelles séquelles possibles ?

Cela veut dire aussi qu’une autre information peut se frayer un chemin différent dans le cerveau de l’enfant : plus l’enfant est extrait tôt d’un milieu délétère vers une figure d’attachement bienveillante et attentive, plus il a de chances de reprendre son développement. Toutefois, il est impossible de prédire s’il gardera ou non des séquelles. Ainsi, je connais un petit garçon placé à un peu moins de 3 ans, leur mère l’enfermait parfois dans sa chambre sans nourriture (plus il criait, plus la « punition » durait). Ce garçon n’a jamais accédé à la parole malgré des rééducations entreprises dès son placement. Il est actuellement en IME et ses acquisitions ne progressent pas.

Une multiplication des risques

Peu de données sur l’état de santé de la mère

Même lorsque l’enfant naît sous le secret, et donc est confié dès ses premiers jours de vie à une famille d’accueil, on a parfois très peu de données sur l’état de santé de la mère, le suivi de sa grossesse, les prises de médicaments ou de toxiques. Extrêmement variable d’un département à l’autre, cette recherche est souvent dépendante de la volonté et de la disponibilité de l’équipe de médecins de PMI : on n’a parfois aucune idée de ce qu’a pu vivre l’enfant in utero.

7 fois plus de notifications MDPH

Toutes les études montrent qu’en France, la santé des enfants confiés est nettement moins bonne que celle des enfants de la population générale. 25 % des mineurs placés en protection de l’enfance ont une notification MDPH, soit sept fois plus que les autres enfants ! Ces notifications concernent toutes sortes de handicaps, avec une prédominance de troubles du comportement et de troubles sensoriels. Les parents ayant une pathologie mentale et/ou psychiatrique sont surreprésentés dans la population des enfants confiés. Une part des troubles de l’enfant peut être imputable à un potentiel génétique transmis, une autre est due au manque de stimulations, voire à la négligence totale de parents dans l’incapacité à s’occuper d’un enfant.

5 fois plus de dénis de grossesse

On note cinq fois plus de dénis de grossesse dans les antécédents des enfants confiés, entraînant une absence de suivi de la grossesse avec, pour corollaire, l’absence de données sur la santé des parents, l’absence d’informations sur d’éventuels épisodes infectieux (maladies sexuellement transmissibles notamment) ou l’absorption de toxiques ou de médicaments. Il est souvent difficile de déterminer si un enfant souffre d’un syndrome d’alcoolisation fœtale, qui est un diagnostic d’élimination (après avoir écarté les autres causes possibles), et qu’il n’est possible d’affirmer que si la mère révèle qu’elle a absorbé de l’alcool, surtout dans les formes qui présentent des signes physiques peu prononcés (ce qui n’écarte pas les risques de troubles cognitifs).

Plus de naissances prématurées

Les enfants confiés naissent prématurément deux fois et demi plus souvent, et on sait que les enfants prématurés présentent statistiquement plus souvent des troubles des apprentissages.

Un suivi médical chaotique

Les enfants ayant subi des négligences ont un suivi médical très chaotique, voire inexistant, les excluant du suivi régulier permettant le dépistage et la prévention de troubles. Il est fréquent que soient interrompus la prise de vitamine D, les vaccinations, la surveillance staturo-pondérale, voire des traitements indispensables. J’ai ainsi rencontré une jeune fille dont le traitement par hormone de croissance a été interrompu par les parents. Les règles sont arrivées au début du placement (à 12 ans), signal du début de la puberté et donc de la soudure des cartilages de croissance : cette jeune fille aura pour taille définitive 1,38 m… Il s’en est suivi une profonde dépression avec tentative de suicide.

Des retards des acquisitions et des déficits sensoriels

Chez ces enfants, on note plus souvent aussi des retards des acquisitions et des déficits sensoriels : troubles du langage (extrêmement fréquents) et troubles de la vue et de l’audition avec retard de prise en charge. Or plus le temps passe, plus il est difficile d’espérer une récupération suffisante de ces troubles pour permettre une scolarité satisfaisante.

Une prise en charge très variable selon les territoires

À tout ceci, s’ajoute une prise en charge très variable de la santé des enfants placés suivant les territoires. Les études montrent que le suivi est de meilleure qualité lorsque du temps de médecin de PMI y est attribué, celui-ci étant plus au fait des besoins fondamentaux de l’enfant. En effet, le développement de l’enfant est encore une notion survolée dans le cursus de médecine générale et la maltraitance infantile n’y est jamais abordée. C’est ce que me disent tous les internes qui viennent en stage en PMI et ce que me confient parfois les médecins généralistes avec qui je me mets en lien pour le suivi des enfants.

Des dossiers médicaux complexes et décousus

Le dossier médical des enfants est tellement complexe et décousu lorsqu’ils arrivent en placement, que même avec toute la bonne volonté du monde, les référents de l’Ase m’indiquent que bien des notions leur échappent, ne serait-ce que : par quoi faut-il commencer devant une telle absence de soins ? Qu’est-il le plus urgent à surveiller ? J’ai eu parfois les plus grandes difficultés à reconstituer un dossier médical. Les parents à qui on retire un enfant, ou parfois toute une fratrie, rechignent à transmettre le carnet de santé pour marquer leur opposition au placement ou pour cacher une absence de suivi aggravant le diagnostic de négligences.

Des données médicales parfois dispersées

Par exemple, le petit garçon évoqué plus haut a changé de lieu d’accueil, a été suivi dans deux départements, par des médecins généralistes, en PMI, en Camsp, avec des résultats éparpillés sur tous ces lieux (vaccinations, caryotype, examens cardiologiques, ophtalmo, ORL, bilan orthophonique…). Comment savoir si on n’a pas manqué un suivi ou une prise en charge quand on n’a pas tous les éléments ? Pour cet enfant, il était capital de recréer un dossier médical pour une prise en charge MDPH pour son entrée en IME, ce qui aurait été une perte de chance supplémentaire. C’est malheureusement le cas pour bon nombre d’enfants placés, la MDPH ne statuant pas en cas de dossier incomplet.

La recherche

Un nombre croissant de travaux relie maintenant les expériences marquantes d’adversité vécues au cours de l’enfance à une augmentation des risques de problèmes de santé à l’âge adulte, incluant le diabète, l’hypertension, l’infarctus, l’obésité, de même que certaines formes de cancer. […] Les adultes qui ont expérimenté entre sept et huit expériences adverses au cours de leur enfance ont une probabilité trois fois plus élevée de souffrir d’une maladie cardiovasculaire à l’âge adulte. Or, l’expérience la plus marquante est sans conteste la maltraitance, à laquelle sont plus exposés les plus jeunes : entre la naissance et 3 ans, 16 enfants pour 1 000 en sont victimes. Dr Martin-Blachais

Réclamer tous les éléments de santé

L’adoption d’un enfant confié à l’Ase ne permet pas d’apporter de garanties concernant son état de santé, même s’il est né en France. Il est vivement conseillé aux postulants à l’adoption de réclamer tous les éléments de santé de l’enfant concerné : il faut continuer à affirmer que ce n’est pas un élément qui va de soi et qu’il est essentiel de protéger la santé des enfants confiés au département.