Un livre captivant « Art et abandon » : 13 artistes racontent
Art et abandon : des artistes racontent, Pascale Lemare, L’Harmattan
Ils sont photographe, écrivain, compositeur, réalisateur, acteur, plasticien… Treize personnes adoptées ont accepté de partager avec Pascale Lemare, psychologue clinicienne, leur histoire personnelle et leur parcours artistique.
Un lien vital avec l’expression artistique
Outre d’avoir été abandonnés puis adoptés, ils ont pour point commun d’avoir un lien vital avec l’expression artistique. Les œuvres, quel que soit le médium, sont traversées par des motifs en relation avec des expériences de vie : l’abandon initial et le sentiment de non-existence, de chute, de vide ; la non-reconnaissance et la naissance sous le secret pour certains, les mensonges et l’absence de narration sur les premiers mois ou années, la quête des origines, l’exploration des failles et leur éventuelle réparation, l’impérieuse nécessité d’être « reconnu », par exemple en se « faisant un nom », en passant par la notoriété publique, par l’accueil des pairs…
Une forme de connaissance de soi
Si nombre d’entre eux ont débuté leur parcours artistique en s’emparant explicitement, consciemment, de leur histoire, ils ont souvent découvert au fil de leurs créations des réseaux de liens, des pistes de travail sur soi, une place dans le monde soudain ou enfin trouvée.
Parfois, les œuvres échappent à l’expression autobiographique pure, elles se font métaphores, explorations de thèmes adjacents, miroirs de soi, imaginaire identitaire : elles comblent les « trous », elles permettent la représentation de l’irreprésentable, de l’innommable. L’art est une forme de connaissance de soi, il transforme. L’écriture, dit Charles Juliet, m’a permis de me reconstituer, de m’unifier, d’adhérer à la vie.
Les artistes se racontent avec sincérité et lucidité
Le livre est composé d’autoportraits : les artistes se racontent avec sincérité et lucidité. Ils se regardent et se comprennent aussi à travers leur créativité, ils semblent en recherche perpétuelle et en cela, ils nous émeuvent au-delà de la confiance qu’ils nous accordent en se disant au plus proche de leur vérité. La nécessité de se dire se double de la recherche de la forme : là commence le travail de l’artiste. Car en creux, il y a la question : qu’est-ce l’art ? Quand peut-on dire de soi qu’on est artiste ?
Un éclairage précieux
Le chapitre « Quelques notes sur l’apport du témoignage d’artistes ayant vécu l’abandon et l’adoption », rédigé par Pascale Lamare, est précieux car il nous éclaire sur les liens tissés entre les personnes et leurs œuvres, sur les thèmes qui les traversent et qui, pour certains, sont communs à tous.
À lire sur ce blog : art et abandon
Le jeudi 19 septembre 2017, la vie de Nicolas Petisoff est bouleversée. L’enfant unique découvre un frère et une sœur. L’enfant adopté apprend l’histoire de sa mère biologique. Ses racines ne sont pas celles qu’il croyait. De ce choc, Nicolas Petisoff construit un spectacle, Parpaing.
François-Xavier de Boissoudy est artiste peintre. Né en France sous le secret, il a été adopté à l’âge de 3 mois. Dans un entretien qu’il a accordé à la revue Accueil, il évoque le regard qu’il porte sur ses parents, l’importance de raconter à l’enfant son histoire et de dire l’abandon. Parce que, nous dit-il : Les mots qui ne sont pas dits, c’est très dangereux.
Freddie, dans le film « Retour à Séoul », c’est elle. Du moins elle qui l’a inspirée au réalisateur Davy Chou. Une trentenaire débordant d’énergie et d’idées, qui parle quatre langues, a beaucoup bourlingué, beaucoup navigué en terre coréenne où elle est née. Depuis ses 30 ans, c’est plutôt un voyage intérieur qui l’habite : ses routes multiples l’ont menée au yoga et à la découverte de l’harmonie. Puis au désir d’aider les personnes adoptées à sortir de leurs dépendances.
Après nous avoir offert une magnifique série de bandes dessinées et un film autobiographiques Couleur de peau : Miel, Jung a réalisé un film documentaire : Tout ce qui nous relie. Cette fois, le film porte sur ce que les adoptés transmettent leurs enfants ou vont leur transmettre. Un sujet peu ou pas exploré qui nous a donné envie d’en savoir un peu plus.
Forte d’une énergie à revendre, Florence Billet-Ranger – Flo, pour sa cohorte d’amis – a vécu de sacrées aventures, d’un continent à l’autre. À commencer par sa naissance, car être au monde, dit-elle, quelle merveille, quel mystère ! Une aventure hors du commun lui a permis de retrouver ses origines en Colombie. Une autre, de retour en France, a été la mise en mots de ces retrouvailles. Partage avec une jeune artiste dont la sensibilité est à fleur de tendresse…
Adoption et identité, c’est ce qui traverse le spectacle de Bertrand Uzeel, Adopte-moi si tu peux. Il a voulu traiter l’adoption de manière décomplexée et raconter son histoire seul en scène, en interrogeant l’identité d’un enfant adopté. Comme il le dit lui-même, parfois « ça pique ! ».
Gerry Oulevay a été adopté en Inde par des parents suisses. Il a entrepris un voyage à vélo vers son orphelinat d’origine à Bombay et il a poursuivi le voyage bien au delà, pendant trois ans et demi. Depuis, il est devenu un artiste de rue, un photographe et un inventeur mécanique, poétique et atypique.
À lire aussi
- Accueil n° 214, « Expressions d’adoptés », mars 2025
En une décennie, on a vu de nombreux adoptés prendre la parole, mettre en lumière le point de vue des adoptés, aussi bien en France qu’au niveau international, souhaitant que les principaux concernés soient acteurs de la réflexion sur l’adoption, désireux d’apporter leur témoignage « vu de l’intérieur ». En parallèle des témoignages, films, spectacles, romans graphiques… se sont multipliés donnant une nouvelle visibilité aux personnes adoptées, faisant une place de plus en plus importante à leur parole, à leur créativité, à leur expérience et à leurs ressentis.
C’est à ces parcours de création que s’intéresse plus particulièrement ce numéro de la revue Accueil.




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