La disponibilité parentale en question
Sollicités en tant que référents ERF par des postulants pour les accompagner dans leur projet vers un ou des enfants à besoins spécifiques, il arrive que nous ayons du mal à les rencontrer : « Vous comprenez, on a un travail très prenant » ; « Ce n’est pas facile de se libérer » ; « Notre emploi du temps est très serré ». Bien sûr ! Qui ne le comprendrait pas ? Nos existences sont souvent bien remplies. Ces premiers contacts avec certains postulants peuvent interroger la démarche qu’ils entreprennent. Ils sont aussi une porte ouverte pour les aider à mûrir leur projet, car là s’impose d’emblée la question de la disponibilité parentale.
Sandrine et Jean-Louis Vercasson
Dans notre démarche d’accompagnement, nous insistons sur l’importance de se projeter, de réfléchir non en termes de « catalogue » de particularités sur lequel il faudrait cocher des cases, mais en termes de répercussions de telle ou telle particularité sur la vie concrète, pratique, quotidienne. Cette approche ne peut que venir provoquer, elle aussi, la question de la disponibilité parentale.
Se projeter dans un nouveau rapport au temps
La première des disponibilités qui vient à l’esprit, c’est celle du temps. Question importante pour toute arrivée d’enfant, question cruciale quand il s’agit d’accueillir un enfant à besoins spécifiques. Qui dit besoins spécifiques dit temps spécifique ! Il faut se projeter dans un nouveau rapport au temps.
Un outil précieux : le camembert du temps
Un outil s’avère précieux à cette étape de la réflexion : le « camembert du temps ». Sa recette ? Tracer sur une feuille deux camemberts. Sur le premier, découper en portions mon/notre répartition actuelle du temps de la semaine : la portion travail, la portion vie familiale, la portion passions ou loisirs… et devant ce découpage de nos vies mis à plat, se demander où trouver le temps nécessaire à l’accueil d’un enfant qui demandera sa portion de temps, se demander ce qui existe déjà pour lui, ce que l’on pourrait libérer, à quels choix on est prêt, à quels renoncements.
Ne pas oublier le temps disponible laissé pour les autres
En bref, imaginer de nouveaux temps pour ce temps nouveau de l’adoption ! Et dans ce temps, certes se projeter avec cet enfant, mais ne pas oublier le temps disponible laissé pour l’autre si on est en couple, pour les autres enfants si tel est le cas… pour nos proches, quelle que soit notre situation familiale. Focalisé sur les besoins de l’enfant à venir, on peut en venir à négliger la disponibilité à ceux qui sont là. Les suivis médicaux, psychologiques peuvent être chronophages. Selon les situations, interventions chirurgicales, suivis de rééducation, suivis psychologiques peuvent s’enchaîner. Il faut y réfléchir. L’arrivée de cet enfant bouleversera l’équilibre d’une vie, c’est certain. Elle ne doit pas le faire exploser en plein vol. disponibilité parentale
Là encore, Il s’agit d’aller dans le concret
Comment se rendre disponible si la situation de l’enfant nécessite un long temps d’apparentement… alors que le congé d’adoption ne démarrera au plus tôt que sept jours avant son arrivée ? Comment articuler des suivis médicaux avec son activité professionnelle, se projeter vis-à-vis de ses responsables, de ses clients si l’on doit prendre des disponibilités ? Comment envisager d’être moins présent pour son conjoint, ses enfants déjà là, en raison du temps qu’exige l’enfant qui arrive, avec ses besoins spécifiques ? Comment s’imaginer avec moins de temps libre ? Et peut-être prendre conscience que cette redistribution des priorités peut aussi être source de frustration, de culpabilité, sentiments auxquels il faudra faire face avec lucidité pour ne pas se laisser envahir.
Poser les choses par écrit, seul devant une feuille
Nous proposons aux couples de faire cet « exercice » de manière individuelle, puis de confronter les résultats. La manière de voir l’existant et de se projeter, les choix et renoncements que chacun envisage peuvent être sources de surprises, même dans un couple qui se connaît bien. Le piège est souvent de penser que l’on sait ce que pense l’autre sans avoir besoin d’en parler. Mettre les choses par écrit seul devant sa feuille permet de les poser paisiblement. La discussion viendra ensuite. Il s’agira de trouver l’équilibre qui convient au couple. Aux postulants célibataires, nous conseillons de mener cette réflexion avec les plus proches des plus proches… ceux dont la disponibilité sera importante dans l’accueil de l’enfant. disponibilité parentale
Élargir la réflexion
La disponibilité tient sur deux pieds
Mais de la même manière qu’il ne faut pas réfléchir à ses limites uniquement sous un aspect matériel, il ne faut pas, nous semble-t-il, limiter sa réflexion sur sa disponibilité au seul critère du temps disponible. La disponibilité tient sur deux pieds, celui du temps et celui de l’esprit. Quelle disponibilité d’esprit pour approfondir sa démarche, faire des recherches, s’ouvrir à des rencontres, travailler à son projet ? Quelle ouverture à ce qui peut venir créer des courants d’air et faire s’envoler des plans bien établis ? Là se rejoignent la réflexion sur sa disponibilité et le travail sur ses limites.
Réfléchir à la disponibilité à différents moments de la démarche
Nous invitons aussi les postulants à réfléchir à cette question à différents moments de la démarche, quand celle-ci se précise. Disponibilité avant l’arrivée de l’enfant, qui peut aller jusqu’à devoir se déplacer rapidement pour un entretien à l’autre bout de la France. Disponibilité au moment de l’arrivée de l’enfant, où il faut d’une manière ou d’une autre se « mettre en disponibilité », matérielle et intérieure. Disponibilité après, au long cours, avec, pour un enfant à besoins spécifiques, un emploi du temps éventuellement rythmé par des suivis de tous ordres… et les soucis qui vont avec. Certes, cette question se pose pour n’importe quel enfant, mais bien plus encore pour l’adoption d’un enfant dont les besoins sont plus exigeants. disponibilité parentale
Des ressources disponibles
Considérer les ressources possibles autour de soi
Enfin, nous soulignons aussi que la disponibilité à envisager n’est pas uniquement celle des parents. Nous invitons les postulants à considérer les ressources possibles autour d’eux pour les soutenir dans l’accueil de cet ou ces enfants. Personnes relais au niveau familial ou amical. Personnes dont on sait qu’elles ne nous laisseront pas seuls en rase campagne quand l’orage grondera. Structures de soins, professionnels… Ressources éventuelles dans l’ordinaire des jours, mais aussi ressources sur qui pouvoir compter en situation de crise. Cette question cruciale l’est peut-être encore plus pour les postulants célibataires à l’adoption d’un enfant à besoins spécifiques. Ce qui peut se moduler dans un couple reste plus difficile à gérer quand on porte seul la « charge parentale ». disponibilité parentale
Faire la liste des personnes ou lieux ressources
Là encore, le recours au papier et au stylo ou au clavier d’ordinateur peut être utile. Faire la liste des personnes ou lieux ressources et, en vis-à-vis, les circonstances dans lesquelles on peut faire appel à eux. Cela va du besoin d’une garde pour souffler une soirée ou un week-end, au besoin de parler, besoin de soutien psychologique, de conseils, au besoin d’aide professionnelle en urgence selon les spécificités de l’enfant envisagées…
Une disponibilité parentale en mouvement
Quelles plantes dans notre jardin ?
L’image du jardin, que nous avions utilisée dans un article au sujet des limites1, semble s’appliquer là aussi. De la même manière qu’il faut en déterminer les limites et les contours, il faut réfléchir à quelles plantes peuvent y pousser, en fonction du temps et de l’énergie que nous avons à leur consacrer. Toutes les plantes nécessitent qu’on leur accorde temps et attention. Certaines, plus fragiles ou simplement différentes, en demandent plus que d’autres. Il faut apprendre à les connaître… et à se connaître avant de les inviter dans notre jardin. Si ce travail de préparation est bien fait, elles pourront s’enraciner dans notre terre et prospérer… pour leur plus grand bonheur et notre plus grande joie de parents-jardiniers.
Un temps d’évolution
Bien sûr, les contours du projet que ce cheminement va révéler, et les disponibilités ou indisponibilités ainsi mises au jour ne sont jamais figés, gravés dans le marbre une fois pour toutes. Comme pour ce qui est des limites de son projet, le temps de la préparation est le théâtre de bien des évolutions. Le temps fait son œuvre. Les rencontres, les témoignages de parents adoptifs ayant parcouru un chemin analogue, les lectures, les recherches de documentation, les groupes d’échange divers, tout cela peut remodeler le regard que l’on porte sur sa vie présente et future. Une telle démarche questionne forcément les choix de vie, les priorités.
Une projection aussi concrète que possible
Par une mystérieuse alchimie, telle activité qui emplissait notre esprit et notre agenda peut soudain, sans pour autant disparaître, passer au second plan. La projection aussi concrète que possible d’un avenir avec un ou des enfants à besoins spécifiques peut venir questionner une vie professionnelle intense, amener à envisager de l’aménager ou de la bouleverser… ou au contraire faire prendre conscience que ce projet viendrait mettre en cause de manière trop radicale des aspects importants, voire capitaux, de notre vie actuelle. En d’autres termes, cette réflexion amène souvent à transformer quelque chose dans l’ordre de ses disponibilités ou dans son projet, quitte parfois à l’abandonner. Mais ne vaut-il pas mieux faire ce constat avant l’arrivée éventuelle de l’enfant ?
À chacun de cultiver son jardin
Comme dans toute démarche d’accompagnement, il ne s’agit bien sûr jamais de juger les postulants, d’estimer que les uns ou les autres ne sont pas assez disponibles. Il ne s’agit que de les aider à se projeter et à discerner quelle place est disponible chez eux… histoire de ne pas inviter à sa table quelqu’un qui n’y trouverait pas toute sa place.
Il ne s’agit pas non plus de répondre à leur place. Le rôle d’un accompagnement est d’aider à se poser quelques bonnes questions, non de donner des réponses toutes faites. À chacun ensuite de cultiver son jardin, à sa manière…
1 Sandrine et Jean-Louis Vercasson, « Y a des limites ! », Accueil n° 192, p. 24-26, septembre 2019. disponibilité parentale